La CourEDH condamne la Pologne : la publication tardive d’un arrêt limitant le droit à l’avortement a porté atteinte à la sécurité juridique
Dans un arrêt du 13 novembre 2025, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) a condamné la Pologne pour violation du droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante, une ressortissante polonaise qui s’est rendu au Pays-Bas pour avorter compte-tenu de la maladie génétique diagnostiquée chez le fœtus qu’elle portait.
Pour comprendre le contexte de la décision, il faut remonter au 22 octobre 2020, lorsque le Tribunal constitutionnel polonais par la voie d’un arrêt déclara contraire à la Constitution l’article de loi permettant l’avortement sur la base d'une malformation grave ou d'une maladie incurable qui menaçait la vie de l'enfant à naître (voir Actualité IEB). La décision ne fut publiée que trois mois plus tard, le 27 janvier 2021 et prit effet à cette date.
Le Tribunal y qualifiait ces avortements de pratiques eugéniques, du fait qu’ils induisent un tri sélectif entre les enfants à naître sains et ceux porteurs d’un handicap ou d’une maladie lourde. La haute juridiction s’appuyait notamment sur la déclaration du Comité du Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU, qui avait affirmé en 2018 que «les lois qui autorisent explicitement l'avortement en raison d'un handicap violent la Convention des droits des personnes handicapées (Art. 4,5 et 8) ». Pour le Comité, ce type d'avortement « perpétue le préjugé selon lequel le handicap serait incompatible avec une vie heureuse ».
Au moment du prononcé de l’arrêt du Tribunal constitutionnel polonais (octobre 2020), la requérante était enceinte de 15 semaines, d’un fœtus porteur d’une anomalie génétique. Elle se rendit aux Pays-Bas pour y subir un avortement en novembre 2020, ne voulant pas courir le risque de voir l’arrêt du Tribunal publié avant d’avoir pu avorter.
Il est important de noter que dans son nouvel arrêt, la Cour EDH ne se prononce pas sur la conformité de la législation polonaise sur l’avortement, telle qu’amendée par l’arrêt du 22 octobre 2020, à la Convention européenne des droits de l’homme.
Concernant l’invocation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants (article 3 CEDH) en raison des « souffrances morales graves et réelles » que la requérante estime avoir subies du fait des restrictions à l’avortement introduites par le Tribunal, la Cour EDH a estimé que le grief n’est pas étayé et qu’il est irrecevable.
Quant à l’invocation de la violation du droit à la vie privée et familiale (article 8 CEDH), la Cour EDH estime que :
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l’ingérence dans l’exercice de ce droit n’était « pas prévue par la loi », car elle n’avait pas été adoptée par un tribunal établi par la loi ;
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La requérante a en outre été lésée par l’incertitude qui entourait les incidences législatives : selon la Cour « il demeurait difficile de savoir si les restrictions à la pratique de l’avortement pour anomalies fœtales étaient déjà entrées en vigueur (ndlr : étant donné l’incertitude quant au moment de la publication et la prise d’effet de l’arrêt) ou si l’avortement pouvait encore être effectué légalement. »
Pour ces raisons précises, la Cour condamne la Pologne à verser à la requérante 1 495 euros (EUR) pour dommage matériel et 15 000 EUR pour dommage moral.
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