Aux États-Unis, 1 bébé sur 10 naît avant 37 semaines d’aménorrhée, délai avant lequel la naissance est considérée comme prématurée. Or, ces naissances représentent 16% des décès de nourrissons. Face à cette réalité, des scientifiques avancent que la technologie de l’utérus artificiel pourrait permettre de sauver la vie de certains bébés nés trop prématurés. En septembre dernier, des experts de l’agence de santé américaine, la Food and Drug Administration (FDA), ont commencé à réfléchir à la faisabilité d’un essai humain avec cette technologie. Ils ont d’ores et déjà soulevé plusieurs interrogations tant sur le plan médical qu'éthique auxquelles les scientifiques devront répondre avant d’envisager un tel essai.
Interrogé par la FDA, Mark R. Mercurio, professeur de pédiatrique et directeur du programme d’éthique médicale à l’université de Yale, a rappelé les principes qui devaient guider la recherche, notamment lorsqu’elle présente un risque supérieur au risque minimum :
-
Le risque est justifié par les bénéfices attendus
-
La relation entre le bénéfice attendu et le risque est au moins aussi favorable aux sujets que celui présenté par les alternatives disponibles
-
Des dispositions sont prises pour demander leur consentement aux parents
En se basant sur le taux de mortalité et les complications médicales connues (immédiates et sur le long terme) et en comparant avec l’efficacité des thérapies actuelles, le professeur a cherché à déterminer le seuil à partir duquel il serait possible d’atteindre un équilibre favorable entre les risques que ferait courir cette technologie et les bénéfices attendus. Sans conclure quant au seuil idéal à partir duquel il serait possible et souhaitable de recourir à l’utérus artificiel (ses recherches se basent sur les données de bébés nés entre 22 et 28 semaines d’aménorrhée), le professeur invite à poursuivre la réflexion pour savoir quel degré d’incapacité présumée justifierait le risque d’utiliser l’utérus artificiel. Si les complications de santé de ces enfants sont nombreuses (troubles neurologiques, difficultés respiratoires, problèmes gastro-intestinaux...), il est encore difficile de déterminer le réel bénéfice d’une technologie qui n’a été testée que sur des animaux (des agneaux majoritairement).
D’autres questions restent en suspens comme celle de savoir quel nom sera donné au bébé placé dans un utérus artificiel. S’agira-t-il encore d’un fœtus ? Pourra-t-on parler de nouveau-né ? Les scientifiques de l’hôpital pour enfant de Philadelphie qui sont à la pointe de ces recherches tentent de rassurer en assurant que leur technologie ne vise pas à remplacer la grossesse depuis la conception mais simplement à en imiter certains aspects pour permettre aux grands prématurés d’avoir une meilleure qualité de vie. Mais la question se pose de savoir quel statut sera accordé aux fœtus une fois qu’ils seront entre les mains des chercheurs.
Par ailleurs, si sauver ou améliorer la vie des grands prématurés est un projet louable, on ne peut éluder le coût de cette technologie pour la recherche. Et du côté des parents qui voudront en bénéficier, sera-t-elle accessible à tous ? Les causes de la prématurité restent peu connues, l’urgence ne serait-elle pas de développer les soins intensifs pour les prématurés ou encore la recherche pour prévenir cette condition ?
Enfin, si cette technologie voyait le jour, elle repousserait le seuil de viabilité des fœtus. Ceci pourrait remettre en question les délais maximums pour recourir à un avortement qui, dans certains pays comme aux Pays-Bas ou aux Royaume-Uni, sont basés sur le seuil de viabilité du fœtus. La technologie mise au point pour sauver des bébés prématurés va-t-elle incidemment contribuer à réduire les délais pour avorter des bébés en bonne santé ?
Pour aller plus loin, retrouvez sur notre site le Dossier de l’IEB : Utérus artificiel : état des lieux et réflexions éthiques.