Ce mardi 18 avril, le “Comité interuniversitaire multidisciplinaire” qui avait été chargé par le gouvernement d'évaluer la législation en matière d'avortement a présenté les conclusions de son rapport aux parlementaires. Ces derniers ont eu l’occasion de commenter les recommandations émises par le Comité, en particulier l’élargissement du délai légal pour avorter de 12 semaines à 18 semaines de grossesse. Alors que le Comité préconise d’inscrire l’avortement dans la loi sur les soins de santé, la difficulté à s’accorder sur un nouveau délai légal pour l’avortement, de même que la pénurie de gynécologues pour le pratiquer semblent confirmer que cet acte pose réellement un problème. Peut-il exister un « équilibre » entre la « protection du fœtus » et « le droit de la femme à disposer de son corps » dès lors que l’avortement est présenté comme une solution ?
Prévention des grossesses non désirées : quid de la prévention de l’avortement ?
Etendre le délai pour mieux prendre en charge les femmes qui souhaitent avorter, telle est la proposition qui fait toujours débat au sein des parlementaires. Parmi les arguments avancés par le Comité pour justifier l’extension du délai légal à 18 semaines figure notamment l’existence d’un consensus politique sur cette question. Plusieurs députés n’ont pas manqué de relever le paradoxe consistant à fonder une recommandation scientifique sur la base d’un consensus politique. Plus largement, l’on observe encore un manque de données concernant les raisons qui poussent encore des femmes à aller avorter aux Pays-Bas. De plus, certains centres ne communiquent plus les raisons qui poussent les femmes à avorter dans les rapports transmis à la Commission d’évaluation depuis que la loi du 15 octobre 2018 rend facultative la mention de la condition de détresse. Dans ce contexte, le Comité souligne l’importance pour la Commission d’améliorer ses travaux en insistant auprès des centres pour qu’ils recueillent cette information. Malgré ce manque d’information, le Comité considère qu’allonger le délai à 18 voire 20 semaines après la conception (soit 20 à 22 semaines “d’aménorrhée”) permettrait de réduire le nombre de femmes qui vont avorter aux Pays-Bas et la fréquence des grossesses non désirées. Cependant, le délai pour avorter semble voué à une extension perpétuelle s’il continue à être présenté comme une solution contre les grossesses non désirées. Comment mettre en place une prévention de l’avortement s’il est lui-même est considéré comme une mesure de prévention des grossesses non désirées ? Le Comité ne résout pas non plus ce paradoxe et continue de promouvoir un plus large accès à la contraception et des délais plus étendus pour avorter (les échecs de la contraception représentent environ la moitié des cas d’avortement.
Le Comité propose ainsi deux options : soit étendre simplement le délai pour avorter, soit inscrire des dispositions spécifiques dans la loi pour inclure des raisons psycho-sociales permettant de recourir à l’avortement. Conscient de la difficulté à circonscrire et à définir les raisons psycho-sociales pour avorter, le Comité privilégie une extension simple des délais.
L’information sur l’avortement, un point-clé encore mal développé
Permettre aux femmes de faire un choix libre et éclairé passe nécessairement par une meilleure information, notamment sur les différentes méthodes d’avortement et leurs effets secondaires. Or, comme le soulignent plusieurs députées, ces méthodes sont encore mal connues des femmes. L’avortement médicamenteux, possible théoriquement jusqu’à 9 semaines d’aménorrhée, nécessite une dilatation du col de l’utérus pour provoquer une fausse couche. Si l’embryon n’est pas correctement expulsé, il faut passer par un curetage. La méthode chirurgicale par aspiration est souvent faite entre 8 et 12 semaines. Elle consiste à aspirer l’embryon ou le fœtus avec une canule. Au-delà de cette période, soit le fœtus est démembré et morcelé in utero, soit l’on procède à un mini accouchement. Comme l’ont relevé certains députés, l’âge gestationnel à partir duquel il est nécessaire de recourir à ces deux dernières méthodes d’avortement n’est pas explicite dans le rapport du Comité, alors que beaucoup d’entre eux s’accordent à dire que l’impact psychologique et physique est sensiblement plus lourd dans de tels cas. Si le Comité propose de donner le choix de la méthode aux femmes, il conviendrait qu’elles connaissent les implications de ces techniques pour elles et leur bébé.
Surpression du délai de réflexion obligatoire jugé inutile et stigmatisant
Les membres du Comité préconisent de supprimer l’obligation de délai de réflexion de 6 jours prévu par la loi avant de procéder à un avortement. À l’instar de l’information sur les alternatives à l’avortement, ce délai est considéré par le Comité comme une forme d’infantilisation des femmes et de remise en question de leur décision d’avorter, ce qui irait à l’encontre de leur autonomie. Par ailleurs, en ce qu’il conduit à retarder le moment de l’avortement, le caractère obligatoire de ce délai de réflexion compliquerait l’acte d’avortement. Le Comité propose donc de rendre ce délai facultatif, et de le personnaliser selon les situations et le stade de réflexion de chaque femme. Si, d’un côté, le Comité admet que l’avortement n’est pas le même selon l’âge gestationnel et qu’il se complique à mesure que le fœtus grandit, il propose dans le même temps d’étendre le délai pour y recourir jusqu’à 18 voire 20 semaines.
La douleur du fœtus n’est pas décisive aux yeux du Comité
Alors que le Comité scientifique dit s’être penché sur les implications de l’avortement à ses différents stades, plusieurs parlementaires ont relevé le peu de prise en compte des études scientifiques qui parlent de la douleur du fœtus. Cette question divise toujours les experts. Certains considèrent que le stade de la nociception à 15 semaines - stade qui correspond au réflexe du nerf périphérique - ne permet pas de percevoir la douleur. D’autres s’accordent à dire que ce stade permet une perception non consciente de la douleur et que, par prudence, il faudrait endormir le fœtus avant toute intervention sur lui-même ou sur sa mère. Face aux questions des parlementaires, le Comité a choisi de se rallier à une position qui décrit l’acquisition de la perception de la douleur à partir de de 22 semaines. Cette question, comme celle de la viabilité sans cesse plus précoce du fœtus, n’a pas conduit le Comité à adopter une attitude de prudence dans ses recommandations. Il considère ces arguments comme non pertinents, sur le plan éthique, pour trouver un équilibre entre l’autonomie des femmes et la protection du fœtus : aux yeux des experts, l’évaluation des conséquences pour le fœtus diffère selon que la grossesse et désirée ou non désirée.
L’avortement, un acte médical comme un autre ?
La loi actuelle de 2018 sur l’avortement prévoit des sanctions générales en cas de non-respect des conditions pour avorter. Les membres du Comité proposent des sanctions pénales spécifiques et différenciées en fonction de la nature de la violation, et plaident également pour que ces sanctions ne concernent plus les femmes, mais seulement les médecins. Si certains parlementaires souhaitent soustraire totalement l’avortement du Code pénal (à l’exception de l’avortement forcé), le Comité considère préférable de maintenir certaines sanctions. Pourtant, dans le même temps, il propose que les interruptions médicales de grossesse (IMG), possibles jusqu’à la naissance, soient ouvertes aux femmes qui présentent des affections mentales graves. Or, on sait que 45% des femmes qui recourent à ces avortements tardifs vivent un stress post-traumatique. Par ailleurs, le Comité préconise de ne pas dresser de liste des pathologies du fœtus qui peuvent ouvrir la voie à une IMG. Une telle liste conduirait à “stigmatiser” les personnes porteuses de ces pathologies, et constituerait une “dérive eugénique d’État”.