Dans un arrêt du 1er décembre 2021, un juge britannique a retenu la responsabilité d'un médecin généraliste par rapport au handicap dont souffre l'enfant de sa patiente. Il lui est reproché de ne pas avoir conseillé sa patiente conformément aux recommandations médicales en vigueur[1] qui préconisaient de prendre un complément d'acide folique avant et pendant les 12 premières semaines de la grossesse, afin d'éviter la malformation du spina bifida chez l'enfant à naître.
Evie Toombes est née avec une malformation du tube neural (spina bifida) qui a été diagnostiquée après sa naissance. Très affaiblie, elle doit subir de lourds traitements qui lui imposent de rester allongée des journées entières. Elle est aussi fortement touchée dans sa mobilité. Malgré cela, cette jeune femme de 20 ans s'est hissée en star du saut d'obstacles et cultive énergiquement sa passion pour l'équitation.
Dans un procès contre le médecin de sa mère, Evie Toombes a avancé l'argument selon lequel si le médecin avait pris soin, lors du rendez-vous précédant la grossesse, de préconiser l'apport d'acide folique à sa mère dès avant de tomber enceinte et dans les premières semaines de la grossesse, cette dernière aurait postposé la conception de son premier enfant, qui serait alors né en bonne santé. La cour a donné raison à la jeune femme, qui sera dédommagée de l'ensemble des frais liés à sa maladie.
Être ou ne pas être ?
La décision, qui reconnaît en réalité un certain préjudice d'avoir été conçue dans des circonstances ayant favorisé un handicap, soulève de profondes questions éthiques voire même des incohérences philosophiques :
Tout d'abord, comme le démontrent les études scientifiques, si la prise d'acide folique diminue le risque de développer un spina bifida, il ne le supprime pas. Autrement dit, même si le Dr Mitchell avait conseillé sa patiente conformément aux recommandations, Evie aurait pu naître porteuse de cette maladie congénitale.
Relevons ensuite que dans l'hypothèse où la malformation du tube neural (spina bifida) avait pu être évitée, il n'y a aucune garantie qu'Evie serait née en bonne santé : d'autres maladies, accidentelles ou héréditaires, auraient pu l'atteindre. La Cour semble cependant prétendre le contraire : « Bien qu'une conception plus tardive aurait été celle d'un individu génétiquement différent, la cour a estimé lors d'une audition précédente que, selon toutes probabilités, une conception ultérieure aurait été celle d'un individu en bonne santé, et que la loi pourvoit que le plaignant est en droit de réclamer un dédommagement pour être né dans un état endommagé ».
Enfin – et voilà sans doute l'objection la plus importante - Evie ne serait tout simplement pas née si la conception avait été retardée. Son existence est d'ailleurs ce qui lui permet d'agir en justice.
Cette situation n'illustre-t-elle pas une tendance de plus en plus perceptible par rapport à la conception d'un enfant aujourd'hui ? L'enfant n'est pas voulu pour lui-même, mais les parents souhaitent avant tout un enfant en bonne santé. S'il ne répond pas au projet fondé sur lui, sa naissance pourrait être considérée comme un préjudice – pour ses parents mais aussi pour lui-même. Corrélativement, la médecine aurait l'obligation d'atteindre un certain résultat : celui d'un enfant conforme au projet parental.
Ce sont là deux phénomènes également pointés par Blanche Streb, docteur en pharmacie et auteur de Bébés sur mesure, le monde des meilleurs (Artège, 2018) dans une tribune parue dans Le Figaro. Blanche Streb y réagissait par rapport à une affaire récente en Belgique, dans laquelle un couple s'est vu dédommagé pour la naissance de jumeaux inaptes à donner leur moelle osseuse à leur frère aîné, alors qu'ils avaient fait l'objet d'une sélection au stade embryonnaire (par fécondation in vitro) en vue de cette thérapie, selon le procédé dit du « bébé-médicament ». Le tribunal a estimé que cette erreur dans la sélection de l'embryon avait entraîné un double dommage : chez le frère malade, du fait du retard de la thérapie, et pour les parents, du fait qu'ils avaient « dû » donner naissance à un quatrième enfant - médicalement compatible cette fois-ci - et en supporter les coûts.
La décision britannique concernant Evee Toombes est encore susceptible d'appel.
Pour aller plus loin :
« Le préjudice d'un enfant né handicapé n'est pas réparable », Institut Européen de Bioéthique, 2017.
Dossier de l'IEB : « La naissance handicapée : un préjudice indemnisable ? »
[1] Le Formulaire National Britannique et la publication de la Pratique de la Médecine Générale – British National Formulary and Practical General Practice publication.