La CEDH rappelle qu’aucun pays n’est tenu de légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 4 min.

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Dans sa décision du 13 juin 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) affirme que l’interdiction de l’euthanasie et du suicide assisté par le gouvernement hongrois ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme. M. Karsai, citoyen hongrois atteint d’une maladie neurodégénérative, considérait que cette interdiction violait ses droits au titre des articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l'homme. Par ce jugement voté à six voix contre une, la CEDH rappelle qu’aucun pays n’est obligé de permettre l’accès à l’euthanasie ou au suicide assisté. 

Différence entre arrêt des traitements et « mort médicalement assistée » 

Dans sa décision, la Cour utilise l’expression de « mort médicalement assistée » qui englobe « le suicide assisté et l'euthanasie volontaire, lorsque ces actes sont pratiqués dans un cadre réglementé et médicalement assisté ». En l’état actuel du droit en Hongrie, les patients peuvent refuser un traitement lorsque la maladie entraînera la mort à brève échéance. Dans cette affaire, le requérant assurait que, compte tenu de la nature et de l'évolution de sa maladie, le recours aux soins palliatifs et la possibilité d'un arrêt des traitements lui feraient endurer des souffrances intolérables. Le requérant se plaignait d'être victime d'une discrimination parce que la loi ne lui offrait pas la possibilité de hâter sa mort, alors qu'elle l'offrait, selon lui, aux patients en phase terminale qui dépendaient d'un traitement de maintien en vie. Il a donc invoqué l'article 14 en lien avec l'article 8 de la Convention. 

La Cour rappelle que l’arrêt des traitements en situation de fin de vie doit s’évaluer à la lumière du respect du droit à la vie et au consentement libre et éclairé et non comme un droit à mourir. Dans un cas, la vie s’achève naturellement, sans obstination déraisonnable, dans l’autre, la mort est provoquée intentionnellement. 

Eloge des soins palliatifs 

Les juges soulignent qu’un « accès à des soins palliatifs de haute qualité, y compris l’accès à un traitement efficace de la douleur, s’avère dans de nombreuses situations – et sans aucun doute dans le cas du patient – essentiel pour assurer une fin de vie digne » au patient. 

Plus spécifiquement, la Cour précise que selon les témoignages d’experts, les options palliatives telles que la sédation palliative « permettent [aux patients] de mourir paisiblement ». 

Par ailleurs, le requérant n’apporte en l’occurrence aucun argument permettant de considérer que les soins palliatifs à sa disposition en Hongrie ne permettraient pas de soulager sa souffrance. 

De plus, concernant l’argument de la souffrance existentielle invoqué par le requérant, qui ne pourrait selon lui être soulagée par les soins palliatifs, la Cour reconnait le caractère réel et grave d’une telle souffrance, mais précise que la souffrance existentielle relève avant tout d’une expérience personnelle, évolutive et subjective. Pour cette raison, la Cour considère qu’elle ne peut retenir ce critère pour justifier une obligation de légaliser l’aide à mourir au titre de l'article 8 de la Convention. 

La pente glissante d’une légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté  

Dans son argumentaire de défense, le Gouvernement hongrois a souligné le risque d’une pente glissante si une « mort médicament assistée » - selon les termes de la Cour- était accordée à M. Karsai. Au nom de l’égalité de traitement, cet acte pourrait être réclamé par toute personne qui se trouverait dans une situation analogue. Sur ce point, le gouvernement hongrois souligne l’incohérence d’autoriser cet acte létal au nom de la liberté personnelle et de le limiter ensuite uniquement aux malades en phase terminale ou aux personnes physiquement handicapées. Est également pointée l’inévitable pression que ferait subir sur les personnes éligibles à l’euthanasie ou au suicide assisté la possibilité d’une telle issue dans un contexte de pression budgétaire du système de santé.  

Le Gouvernement souligne également le caractère inadapté de la réponse offerte par la « mort médicalement assistée » dont le caractère irréversible ne permet de pas de tenir compte de l’évolution des souhaits des malades en phase terminale, qui, avec l’aide des soins palliatifs, apprennent à faire face aux difficultés rencontrées.  

Le problème d’une interprétation large du concept de vie privée  

Dans son opinion partiellement dissidente, le juge Wojtyczek met en lumière le fait que le recours au concept de vie privée et à l’autodétermination en matière de vie et de mort est fondé sur « le postulat implicite que la valeur et le sens de sa propre vie dépendent de choix individuels, [et] contribue en fait à exacerber la souffrance qui découle d'un sentiment subjectif que la vie n'a pas de sens. Plus la mort sur demande devient une option disponible dans la pratique, plus il est difficile de préserver le sens de la vie ». Le juge polonais rappelle également le contexte économique et familial qui peut faire naître des pressions sur les personnes vulnérables face auxquelles les cadres légaux resteront impuissants. 

Comme le souligne le juge Wojtyczek, l'article 2 de la Convention insiste sur le fait que nul ne peut être privé intentionnellement de la vie. Les exceptions à cette interdiction ne mentionnent pas l'euthanasie et le suicide médicalement assisté. Pourtant, bien que reconnaissant qu’il n’existe pas de droit au suicide assisté ou à l’euthanasie, la CEDH tend à donner un sens simplement subjectif et circonstanciel au « droit à la vie ». Confirmant ici sa récente jurisprudence sur le sujet, la Cour considère en effet que le droit à la vie ne peut pas être interprété comme interdisant en soi la dépénalisation conditionnelle de la « mort médicalement assistée » pourvu qu’elle « s'accompagne de garanties appropriées et suffisantes pour prévenir les abus et assurer ainsi le respect du droit à la vie ».  

Quelle que soit l’interprétation de la CEDH concernant le droit à la vie, ce droit est de facto incompatible avec la possibilité du suicide assisté ou de l’euthanasie.