Les auditions se poursuivent au Parlement fédéral, concernant la proposition de loi qui vise à étendre l’euthanasie aux personnes devenues incapables d’exprimer leur volonté, sur la base d’une déclaration anticipée.
Ce mercredi 22 janvier, deux experts issus des Pays-Bas ont présenté les implications d’une telle extension, au regard de l’expérience néerlandaise. Leur expérience avisée et critique ont donné à réfléchir quant aux implications sociales et éthiques d’une extension de l’euthanasie à des patients qui ne sont plus capables de consentement.
Karianne Jonkers, conseillère politique à la Fédération professionnelle des médecins néerlandais a d’abord précisé qu’en 2023, 8 personnes atteintes de démence ont été officiellement euthanasiées sur la base d’une déclaration anticipée aux Pays-Bas. Ce chiffre interroge : qu’en sera-t-il en Belgique où le critère de la souffrance, contrairement aux Pays-Bas, ne fait pas partie de la proposition de loi actuellement discutée ?
Karianne Jonkers a participé à l’élaboration de la loi néerlandaise permettant aux personnes ayant une incapacité acquise, d’être euthanasiées. Lors de son intervention à la Chambre, celle-ci a souligné la difficulté d’appliquer une telle déclaration dans un contexte où l’état de la personne ne lui permet plus de consentir. Aux Pays-Bas, la loi est plus stricte que la proposition belge :
-
Le médecin doit faire une tentative de communication avec le patient (même si l’absence de confirmation orale du patient de sa volonté de mourir par euthanasie n’est pas requise) ;
-
Une conversation préalable doit avoir lieu avec le patient, tant qu’il est encore capable d’exprimer sa volonté, afin que celui-ci confirme clairement son souhait de mourir par euthanasie dans une telle hypothèse ;
-
Le médecin doit constater des symptômes de souffrance irréversible au moment de l’application de la déclaration anticipée.
Dans les faits, peu de médecins néerlandais sont prêts à pratiquer l’euthanasie sur des personnes qui ne se souviennent plus d’avoir fait une telle demande. Par prudence, ce sont donc les souhaits actuels du patient qui sont respectés et qui prévalent sur la déclaration. Un refus du patient de mourir par euthanasie, même s’il est considéré formellement comme incapable de consentement, conduira à ne pas l’euthanasier sur la base de sa déclaration anticipée.
La proposition de loi belge envisage de se baser sur l’incapacité de la personne à exprimer sa volonté pour déclencher la déclaration anticipée d’euthanasie. De l’avis de Karianne Jonkers, il est dangereux de retenir comme seul critère immédiat l’incapacité du patient, dont le caractère permanent et irréversible est difficile à établir. Sans l’ajout d’un critère lié à la souffrance actuelle, la proposition de loi belge ouvrirait la voie à de nombreux abus et pressions.
Le second expert auditionné ce mercredi est Theo Boer, professeur d’éthique de la santé à la PThUniversiteit (Utrecht) et initialement favorable à la dépénalisation de l’euthanasie. Ces deux experts sont aujourd’hui unanimes sur le fait que, « en pratique, il sera extrêmement difficile de trouver des médecins prêts à euthanasier un patient qui ne souffre pas réellement, qui a implicitement ou explicitement indiqué qu'il ne voulait pas mourir, ou qui n'a aucune idée de ce qui se passe lorsqu'une euthanasie est pratiquée », selon les mots de Theo Boer. On peut dès lors supposer que la loi belge s’avèrerait inapplicable en pratique, tenant compte du refus probable de la plupart des médecins d’euthanasier des patients dans de telles conditions.
Demande d’euthanasie ou appel à l’aide : comment discerner la demande réelle ?
Comme le faisait remarquer une députée présente en commission parlementaire de la santé, cette demande d’euthanasie ne constitue-t-elle pas en réalité un appel à être entendu plutôt qu’une réelle demande de mort ? A cette remarque, l’experte Karianne Jonkers a répondu qu’en effet, une étude avait montré qu’une grande partie des personnes atteintes de psychiatrie qui avaient fait une demande d’euthanasie aux Pays-Bas avaient retiré leur demande quand elles avaient pu être entendues ou prises en charge adéquatement. Si l’experte précise que cela n’est pas toujours le cas, cette réalité invite néanmoins à s’interroger sur l’euthanasie proposée comme réponse à la souffrance présente ou future des personnes démentes. La solution, comme le soulignait Theo Boer, pourrait être « d’améliorer les soins aux personnes atteintes de démence » et de ne pas « continuer indéfiniment les traitements » de façon excessive.
Les experts auditionnés ont également pointé le risque de pression sur les patients âgés pour rédiger une déclaration anticipée d’euthanasie et sur les médecins qui auront la lourde responsabilité, médicale et juridique, de décider d’appliquer la déclaration anticipée d’euthanasie. Cette pression sociale est d’ailleurs déjà perceptible dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, qui s’inquiète du « tsunami de cas de démence » dans les années à venir. Dans ce contexte, une seule euthanasie pratiquée sous la pression serait déjà une euthanasie de trop, souligne Theo Boer, qui rappelle à quel point il reste toujours « très difficile de mettre fin à une vie pour un médecin ».