S’assurer que la demande d’euthanasie est volontaire et sans pression extérieure, informer le patient au sujet des soins palliatifs, respecter le délai d’exécution de l’euthanasie chez les patients qui ne sont pas en fin de vie, discuter de la demande avec l’équipe soignante, … ces différentes conditions de la loi belge sur l’euthanasie sont-elles superflues, au point de supprimer toute sanction pour le médecin qui violerait l’une d’entre elles ?
Le Parlement fédéral belge se penche actuellement sur la refonte du système de sanctions en cas de violation de la loi sur l’euthanasie. Le nouveau système, voté en première lecture en commission de la Justice le 14 février dernier, envisage un allègement considérable des peines prévues en la matière, allant jusqu’à une suppression de toute sanction pénale en cas de non-respect de certaines conditions.
Rétroactes – L’affaire Tine Nys
Cette réforme s’inscrit dans la continuité de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 20 octobre 2022. Dans cet arrêt, les juges concluaient à l’inconstitutionnalité de la loi euthanasie dans la mesure où celle-ci ne prévoyait pas un système de sanctions graduel pour le médecin qui enfreindrait la loi, selon l’importance de la condition violée.
L’arrêt trouve lui-même son origine dans l’affaire Tine Nys, jeune femme euthanasiée à 38 ans pour trouble psychique : poursuivi devant la Cour d’assises de Gand en janvier 2020, le médecin qui avait pratiqué l’euthanasie avait été acquitté au bénéfice du doute. Actuellement, dans la mesure où l’euthanasie fait l’objet d’une dépénalisation en droit belge, le non-respect d’une des conditions de la loi par le médecin qui pratique l’euthanasie le rend susceptible d’être poursuivi pour meurtre par empoisonnement. Saisi par la famille de Tine Nys sur le plan de la responsabilité civile, le tribunal correctionnel de Termonde avait alors interrogé la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de ce régime pénal unique avec le principe de non-discrimination.
Nouveau régime de sanction à trois vitesses
Faisant suite à un accord sur la question au sein du gouvernement fédéral, des députés des différents partis de la majorité ont ainsi déposé une série d’amendements venant fondamentalement réformer le régime de sanctions de la loi euthanasie. Intégrés à un projet de loi introduisant diverses dispositions sur la justice, ces amendements prévoient un régime à triple vitesse en cas de violation de la loi euthanasie :
1° CONDITIONS "DE BASE"
En cas de violation d'une seule des conditions « de base » de la loi, le médecin est passible d’une peine de réclusion de dix ans à quinze ans.
Ces conditions correspondent aux critères concernant l’état du patient :
- capable et conscient au moment de sa demande
- dans une situation médicale sans issue et avec une souffrance physique ou psychique constante, insupportable et inapaisable, qui résulte d'une affection grave et incurable
Sont également visées les conditions supplémentaires concernant l’euthanasie des mineurs (capacité de discernement, souffrance physique, décès à brève échéance) et l’euthanasie effectuée sur la base d’une déclaration anticipée (« situation irréversible selon l’état actuel de la science »).
En revanche, la nécessité pour le médecin de vérifier que « la demande est formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée, et qu'elle ne résulte pas d'une pression extérieure » n’est plus associée à la moindre sanction pénale dans la nouvelle proposition. Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle avait pourtant inclus cette exigence parmi les conditions réputées « de fond ».
Les auteurs des amendements justifient cela par le fait qu'une euthanasie pratiquée sans le consentement du patient ferait retomber le médecin qui a pratiqué l'euthanasie dans le régime de "meurtre par empoisonnement". Une distinction majeure existe pourtant en pratique entre le fait d'euthanasier une personne sans son consentement et le fait de ne pas vérifier de manière rigoureuse le caractère volontaire, réfléchi et répété de la demande d'euthanasie avant de pratiquer celle-ci.
Enfin, même si une telle hypothèse n'apparaît pas clairement dans le texte du projet de loi, les auteurs des amendements précisent que le non-respect concomitant de plusieurs de ces conditions de fond refait également basculer le médecin vers le régime pénal du meurtre par empoisonnement.
2° CONDITIONS "PROCEDURALES"
En cas de violation d'une ou plusieurs des conditions « procédurales », le médecin qui pratique l’euthanasie est passible d’un emprisonnement de huit jours à trois ans et d’une amende de 26 euros à 1.000 euros, ou d’une de ces peines seulement.
Ces conditions sont :
-
la consultation d’un second médecin – indépendant du patient et du premier médecin, et compétent en la matière – quant au caractère grave et incurable de l'affection, voire d’un troisième médecin en cas de décès non attendu à brève échéance ;
-
en cas d’euthanasie effectuée sur la base d’une déclaration anticipée, la consultation d’un médecin indépendant quant au caractère irréversible de la situation du patient, et l’information de la personne de confiance éventuelle du patient ;
-
en cas d’euthanasie pratiquée sur un mineur, la consultation d’un pédopsychiatre ou d’un psychologue, la prise de connaissance du dossier médical, la vérification de la capacité de discernement du mineur et l’entretien avec ses représentants légaux.
3° CONDITIONS "FORMELLES"
En cas de violation d’une ou plusieurs des autres conditions « formelles » de la loi, plus aucune sanction pénale n’est prévue.
De nombreux critères de validité prévues par la loi euthanasie ne sont désormais plus associés à une quelconque sanction pénale en cas de non-respect par le médecin. Réputées « formelles » par les députés auteurs de la proposition, ces conditions n’en revêtent pas moins un caractère souvent crucial, du fait de leur impact sur la décision ultime du patient de mourir par euthanasie.
Ces conditions dont la violation ne serait désormais plus poursuivie pénalement correspondent à la nécessité, pour le médecin qui pratique l’euthanasie, de :
-
vérifier que « la demande est formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée, et qu'elle ne résulte pas d'une pression extérieure » ;
-
« informer le patient de son état de santé et de son espérance de vie, se concerter avec le patient sur sa demande d'euthanasie et évoquer avec lui les possibilités thérapeutiques encore envisageables ainsi que les possibilités qu'offrent les soins palliatifs et leurs conséquences » ;
-
« arriver, avec le patient, à la conviction qu'il n'y a aucune autre solution raisonnable dans sa situation et que la demande du patient est entièrement volontaire »;
-
« s'assurer de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée », et mener à cette fin « plusieurs entretiens avec le patient, espacés d'un délai raisonnable » ;
-
« s'il existe une équipe soignante en contact régulier avec le patient, s'entretenir de la demande du patient avec l'équipe ou des membres de celle-ci » ;
-
« si telle est la volonté du patient, s'entretenir de sa demande avec les proches que celui-ci désigne » ;
-
« s'assurer que le patient a eu l'occasion de s'entretenir de sa demande avec les personnes qu'il souhaitait rencontrer » ;
-
en cas de décès non attendu à brève échéance, « laisser s'écouler au moins un mois entre la demande écrite du patient et l'euthanasie » ;
-
en cas d’euthanasie pratiquée sur la base d’une déclaration anticipée, « si la déclaration désigne une personne de confiance, s'entretenir avec elle de la volonté du patient » et « du contenu de la déclaration anticipée »;
-
consigner « l'ensemble des demandes formulées par le patient, ainsi que les démarches du médecin traitant et leur résultat » dans le dossier médical du patient.
-
remettre « dans les quatre jours ouvrables, le document d'enregistrement […] à la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation »
Pour justifier cette impunité pénale, les députés auteurs de la proposition invoquent le degré d’importance relatif de ces conditions, et le fait que des sanctions civiles ou disciplinaires suffiront en l’espèce.
Il semble pourtant évident que le non-respect d’une – ou, a fortiori, plusieurs – de ces conditions (telles que l’information concernant les soins palliatifs, le délai d’exécution de l’euthanasie, la concertation avec l’équipe soignante, …) ont une influence directe sur le respect des conditions « de fond » de la loi, en particulier la volonté libre, répétée et réfléchie du patient qu’un médecin mette fin à ses jours.
Le texte précise par ailleurs que le médecin sollicité pour rendre un avis sur la demande d’euthanasie n’est plus passible d’aucune sanction : l’avis qu’il remet ne peut être considéré comme le rendant auteur ou participant à l’une des infractions.
Ces articles seront prochainement soumis à un vote ultime en séance plénière de la Chambre des représentants.
NB. Notons que parmi les autres dispositions du projet de loi en question, figure également la suppression de l’anonymat du document d’enregistrement d’euthanasie (en son premier volet) rempli par le médecin qui pratique l'euthanasie. Cette modification vise à répondre à l’arrêt Mortier c. Belgique rendu par la Cour européenne en octobre 2022, dans lequel il était conclu à l’existence d’une apparence de conflit d’intérêt au sein de la Commission de contrôle, dont les médecins qui la composent sont jusqu’à aujourd’hui amenés à valider les euthanasies qu’ils ont eux-mêmes effectuées. Le nouveau système permettra à ces médecins d’être écartés de la délibération dans un tel cas.