Une proposition de loi de l’Open Vld, cosignée par le PS, a été déposée en septembre dernier à la Chambre. Elle vise à « étendre la déclaration anticipée d'euthanasie aux personnes devenues incapables d'exprimer leur volonté ». Des experts sont actuellement auditionnés afin de réfléchir aux implications médicales, sociales et éthiques d’une telle extension. Comment définir médicalement le fait d’être inconscient et incapable et comment savoir si la situation est irréversible ? Les experts auditionnés et les députés sont confrontés à la difficulté d’inscrire dans une loi une possibilité de demander la mort par avance, en vue d’un état par nature variable et incertain. La question se pose aussi de savoir si une déclaration anticipée d’euthanasie respecte vraiment la volonté du patient dont le consentement ne sera plus requis au moment de l’acte d’euthanasie.
Actuellement, la loi prévoit que seules les personnes tombées dans un coma irréversible peuvent être euthanasiées sur la base d’une directive anticipée. Selon les auteurs de la proposition de loi, cela conduit des personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative ou de démence à demander « trop tôt » l’euthanasie par crainte de ne plus être capables de consentir au moment de l’acte et de se voir refuser l’euthanasie.
Une proposition de loi aux contours incertains
La difficulté majeure de cette loi à définir les termes « incapacité », « démence », « irréversible », « conscient », « inconscient » a été soulevée par de nombreux orateurs, tant du côté des experts que des députés. Le champ d’application de la loi parait donc dangereusement flou, ouvert à des interprétations subjectives de la part du médecin qui devra appliquer la déclaration anticipée et des proches qui seront consultés. Quelle sera la responsabilité du médecin dans l’interprétation d’une directive anticipée ? Peut-on vraiment déterminer le moment à partir duquel la personne n’est plus capable de demander l’euthanasie ? Déterminer le « moment opportun » pour réaliser l’euthanasie dans ce contexte s’avèrera périlleux et pourrait entrainer des abus vis-à-vis de patients qui ne sont plus capables de de consentir à l’euthanasie. Selon Jurn Verschaegen du Centre flamand d’expertise de la démence, il est illusoire de croire qu’une déclaration anticipée puisse expliciter la volonté de la personne étant donné la forme par nature hypothétique de la situation visée par la déclaration. Il faudrait constater une souffrance objective et actuelle.
De la souffrance actuelle à la souffrance anticipée : un critère devenu superflu ?
Lors de son audition, Eric Salmon, neurologue, a soulevé la nécessité de mieux définir les termes et de réintroduire des critères essentiels pourtant absents de la proposition, comme celui de la souffrance inapaisable et insupportable. Comme il l’a souligné, il est possible d’être atteint de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé et de ne pas souffrir. Décrire le moment ou la souffrance deviendra insupportable dans une déclaration anticipée revient à nier cette évolution possible du vécu de la maladie. Une des questions majeures est alors de savoir s’il sera possible de changer d’avis si le consentement n’est plus requis au moment de l’acte.
De leur côté, les députés ont été nombreux à soulever la question de la souffrance. Dans le cas de la démence, peut-on toujours parler de souffrance au moment où l’euthanasie doit être pratiquée ? Selon la députée Frieda Gijbels, il est possible que ce soit davantage la peur de souffrir qui entraine la rédaction d’une déclaration anticipée d’euthanasie. Selon le député Bacquelaine, la souffrance se trouve en effet dans l’idée que l’on se fait de la démence. Ce dernier point pose la question du regard de la société sur la vieillesse et la démence : comme le soulevait la députée Frieda Gijbels, si une loi permet que des personnes soient euthanasiées dans le cas où elles ne seraient plus capables d’exprimer leur volonté à la suite d’une démence ou d’une perte cognitive, l’euthanasie ne se verra-t-elle pas encouragée dans les faits, au détriment de solutions qui privilégient l’accompagnement de la personne sans mettre fin à sa vie ? La députée Els van Hoof soulignait quant à elle la nécessité d’une concertation multidisciplinaire afin d’évaluer la souffrance pour chaque euthanasie envisagée sur la base d’une déclaration anticipée pour une personne en état de démence avancée.
Une perception négative de la démence à l’origine de la proposition de loi ?
L’exposé des motifs de la proposition de loi mentionne un « tsunami de Alzheimer », et décrit les personnes démentes comme étant dans un état « végétatif ». Ces termes reflètent une perception négative de la démence et nient l’ambivalence de cet état dans lequel les personnes peuvent vivre des moments positifs, comme le soulignait encore Jurn Verschaegen. Ces personnes passent d’une vie cognitive, rationnelle, à une vie émotionnelle. Elles ressentent l’amour et les émotions qui ne sont pas que négatives. Il est donc important, selon le Centre flamand d’expertise de la démence, que l’euthanasie ne soit pas considérée comme une « solution face au manque de financement et à la mauvaise image de la démence ».
À son tour, la Ligue Alzheimer, à travers la voix de sa présidente Sabine Henry, a souligné que l’extension de l’euthanasie active aux personnes atteinte de perte dégénérative semble complexe dans son application. Garantir l’autonomie des patients implique de faire connaître les aides existantes pour « leur donner une perspective de vie ». Il est essentiel de contrebalancer la maladie qui induit beaucoup d’angoisses et de fausses croyances. La vie de ces patients n’est pas nécessairement indigne ou douloureuse, souligne encore Sabine Henry. Il est important de garantir une information claire et complète sur la pathologie et les aides possibles et faciliter l’accès aux soins palliatifs. « Croyez à la vie, la mort fait partie de la vie (…) parfois il suffit de peu de choses pour que cette vision d’une fatalité d’une maladie d’Alzheimer devienne une possibilité de vivre certes dure, importante, gênante, mais quand même une possibilité de vivre et pas seulement l’arrêt de vie comme solution ». Le choix de la vie sera-t-il encore possible si une loi indique que la maladie et la démence méritent finalement une mort prématurée ?
Dans ce contexte, la question se pose de savoir où réside vraiment la volonté du patient. C’est sous cet angle crucial que l’Institut Européen de Bioéthique a choisi d’examiner les implications éthiques de la proposition de loi pour laquelle il a été invité à rendre un avis écrit.