Le 23 octobre dernier, le gouvernement autrichien a présenté un texte visant à encadrer la pratique du suicide assisté dans le pays.
Ce projet de loi vise à répondre à l'arrêt de la Cour constitutionnelle d'Autriche, rendu en décembre 2020 (voy. News IEB), par lequel est déclarée inconstitutionnelle l'incrimination de l'aide au suicide, en raison d'un droit individuel à « l'autodétermination ».
Les autorités se voyaient ainsi contraintes par la Cour d'adopter une loi encadrant l'aide au suicide d'ici le 1er janvier 2022, à défaut de quoi l'aide au suicide ne serait plus interdite et laisserait place à un vide juridique.
Conditions légales
Intitulé « Sterbeverfügungsgesetz » (« loi sur les dispositions de mort »), le projet de loi prévoit que le suicide assisté est possible pour les personnes atteintes d'une maladie chronique ou terminale. Par maladie chronique, l'on vise une « maladie grave et permanente avec des symptômes persistants ». Une personne handicapée ou accidentée qui n'est pas en fin de vie serait donc éligible au suicide assisté, dès lors qu'elle considère qu'elle « ne peut pas éviter son état de souffrance ».
La consultation de deux docteurs est prévue, dont l'un est spécialisé en médecine palliative : ceux-ci sont tenus d'évaluer la capacité de discernement du patient, et de lui expliquer les conséquences de sa maladie ainsi que les options de soins disponibles.
Un délai obligatoire de douze semaines est prévu entre la demande du patient et la possibilité effective du suicide assisté. Ce délai est ramené à deux semaines lorsque la mort est attendue à brève échéance.
Concrètement, le patient reçoit à ce moment l'autorisation d'obtenir auprès d'un pharmacien la délivrance du poison mortel qui lui permettra de mettre fin à ses jours. Celui-ci peut être retiré par le patient lui-même, ou, s'il n'en a pas la possibilité, par une personne mandatée. Le poison doit être utilisé dans l'année suivant la délivrance.
Suicide assisté ou euthanasie ?
Ces dernières conditions semblent inscrire le texte de loi dans la perspective du concept de suicide assisté.
Le gouvernement tient en effet à éviter l'implication directe des médecins dans le geste de mort posé sur le patient qui en a fait la demande.
De même, l'on note la volonté des autorités d'exclure la création d'institutions ou de professions spécialisées dans le fait de mettre fin à la vie d'autrui.
Le suicide assisté a dès lors lieu dans un « cadre privé », avec l'assistance d'une personne disposée à y participer, et qui n'est pas nécessairement un soignant.
La participation des médecins reste toutefois requise au stade de l'évaluation de l'état médical et de la volonté du patient. En cela, le projet de loi se rapproche du cadre légal relatif à l'euthanasie.
Notons par ailleurs que le projet de loi prévoit l'interdiction de toute publicité en la matière, reconnaissant ainsi le risque d'un « effet Werther » lié à la promotion du suicide. De même, est interdit tout avantage économique tiré de la pratique du suicide assisté.
Procédure législative
A la suite du dépôt de ce projet de loi, le gouvernement a ouvert un processus de consultation de la société civile, clôturé le 12 novembre dernier. La loi sera désormais transmise au Parlement autrichien (Nationalrat), invité à adopter le texte d'ici la fin de l'année, afin que le texte puisse entrée en vigueur dès le début de l'année 2022.
Large opposition des organisations concernées
Avant même son examen par le parlement, le texte a d'ores et déjà suscité la désapprobation de nombreuses organisations, parmi lesquels figurent les secteurs ou personnes directement concernés par la mise en place du suicide assisté : la société autrichienne de soins palliatifs (OPG), la société autrichienne de psychiatrie (ÖGPP), plusieurs associations de personnes handicapées, la société de prévention du suicide (ÖGS), etc. Cette dernière pointe d'ailleurs l'incohérence manifeste d'une telle législation avec les politiques publiques de prévention du suicide.
Si le gouvernement promet parallèlement un investissement supplémentaire dans les soins palliatifs (aujourd'hui non accessibles à une part importante de la population), plusieurs organisations dénoncent l'absence d'effectivité d'une telle décision dans les prochains mois, alors que le suicide assisté sera quant à lui probablement déjà autorisé.
Plus largement, se dessine le risque d'un élargissement rapide des conditions médicales ouvrant la voie au suicide assisté – risque confirmé dans les pays ayant légalisé l'euthanasie ou le suicide assisté –, y compris par le biais d'une interprétation essentiellement subjective des conditions légales.