« (…) il faut parfois savoir renoncer à la médecine avant qu’elle ne devienne nuisible ». De la part de René Frydman, grand gynécologue et « père » du premier bébé éprouvette français, cette phrase, extraite de son dernier ouvrage La tyrannie de la reproduction, peut étonner. Sans remettre en question la procréation artificielle qu’il range parmi les « solutions thérapeutiques positives », heureux d’avoir contribué au succès de la première greffe d’utérus en France, il dénonce une injonction à la maternité qui pousse selon lui à « tenter le tout pour le tout ».
À l’heure où la fécondité est maîtrisée, retardée si besoin ou brandie comme un droit lorsque le désir d’enfant se fait sentir, la réflexion de René Frydman sur la nouvelle tyrannie de la reproduction est pertinente, mais elle interroge. Peut-on utiliser des techniques qui rendent possible une procréation totalement artificielle sans tomber dans les dérives qu’il redoute comme la gestation pour autrui, le rêve d’un utérus artificiel ou encore la greffe d’utérus chez les hommes transgenres ? De plus, s’il met en garde contre un détournement de la médecine en distinguant le clonage thérapeutique du clonage reproductif qui se passerait même de la fécondation, on ne parvient pas à comprendre où se situe la limite en pratique.
La procréation artificielle, la cryoconservation des gamètes ou celles des embryons en vue d’une implantation future mais aussi la possibilité de concevoir un enfant grâce à une greffe d’utérus, ces technologies ne contribuent-elles pas justement à exacerber le désir d’enfant ? Où est la limite dans leur utilisation avant qu’elle ne devienne mauvaise ? La question du statut que l’on accorde aux embryons aurait peut-être permis de répondre à cette question. Mais si René Frydman critique l’instrumentalisation de l’enfant à naître dans l’hypothèse d’un clonage reproductif, il ne va pas jusqu’à critiquer le principe de la procréation artificielle qui manipule et détruit inévitablement certains embryons.
Il distingue l’utilisation des embryons lorsque le but est de satisfaire un désir égoïste dans le cas de la GPA ou du clonage reproductif et leur utilisation dans le cas de la recherche. La finalité scientifique de celle-ci et les espoirs thérapeutiques qui la motivent peuvent-il justifier la destruction des embryons et donc leur instrumentalisation ? Sans répondre à ces questions, René Frydman conclut l’ouvrage en exposant les risques éthiques inévitables lorsque la société s’en remet au « tout scientifique », conduisant non seulement à des déceptions comme dans le cas de la procréation artificielle, mais aussi au rêve de fabriquer des enfants sur-mesure, autre visage de cette tyrannie qu’il dénonce.