PMA : la justice belge contraint un donneur anonyme présumé de passer un test ADN

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Début de vie / Procréation médicalement assistée Actualités Temps de lecture : 4 min.

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La Belgique abandonnera-t-elle prochainement la possibilité d’un don anonyme de sperme dans le cadre de la procréation artificielle ?

Une décision rendue récemment par le Tribunal de première instance de Flandre orientale vient en tout cas relancer la discussion sur l’accès aux origines des enfants issus d’un don de gamètes.

Rappelons que la loi belge du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée permet au donneur de sperme ou d’ovocytes qui le souhaite de rester anonyme, sans pour autant empêcher l’enfant issu de ce don de rechercher son parent biologique.

C’est précisément cette quête des origines qui a poussé une femme belge, née d’une PMA avec donneur anonyme, à tenter de rechercher l’identité de son père biologique. Dans un premier temps, « Madame X » (pseudonyme retenu dans le communiqué de presse du tribunal) multiplie ainsi les démarches auprès des banques d’ADN commerciales (telles que MyHeritage) offrant leurs services sur internet. Le croisement de son propre ADN avec ces banques de données, suivi d’une recherche généalogique, permet à Madame X de déterminer avec quasi-certitude l’identité de son père biologique.

Une tentative de médiation entre Madame X et Monsieur Y (donneur présumé) est alors initiée sous l’égide de l’Afstammingscentrum à Gand. Ce centre indépendant, créé par les autorités flamandes en 2021, vise à accompagner les personnes en quête de leurs origines familiales et biologiques.

Devant le refus de Monsieur Y de procéder à un test ADN permettant de vérifier son lien biologique avec Madame X, cette dernière initie alors une procédure en justice, afin de contraindre Monsieur Y à réaliser le test ADN.

 

Le droit d’accès aux origines de l’enfant pèse plus lourd que le droit à la vie privée du donneur anonyme

Madame X invoque l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale. Selon elle, cette disposition implique « le droit d'obtenir la certitude de son origine biologique ». Pour justifier son refus de réaliser le test ADN, Monsieur Y invoque également l’article 8 de la CEDH, sur le plan du droit au respect de sa vie privée et de son intégrité physique, ainsi que la loi PMA de 2007 en vertu de laquelle est rendu possible l’anonymat du don.

Tenant compte de ce conflit de droits fondamentaux, le tribunal opère alors une mise en balance des intérêts. Le jugement tient compte de la tendance selon laquelle doit être privilégié l’intérêt de l’enfant (même majeur) à savoir de qui il est issu, au-dessus de tout autre droit. Selon le tribunal, ce droit à connaître ses origines s’inscrit dans la perspective du droit à l’identité et au développement personnel.

En témoignent, selon le tribunal, la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle de Belgique, ainsi que l’interdiction du don anonyme de gamètes en vigueur dans plusieurs pays. Plus fondamentalement, le jugement considère que la loi belge de 2007 est très probablement incompatible avec la CEDH et avec la Convention internationale des droits de l’enfant, dont l’article 7.1 reconnaît à chaque enfant « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».

Pour cette raison, le droit de Madame X à connaître ses origines est privilégié, au détriment du droit au respect de la vie privée de Monsieur Y. Le tribunal souligne à cet égard que la levée de l’anonymat du don n’emporte aucune conséquence juridique pour Monsieur Y, sur le plan de la filiation en particulier.

Le donneur est donc contraint d’accepter un test ADN.

 

Vers une modification de la loi belge en matière d’anonymat des donneurs ?

Cette décision soulève désormais la question plus large du maintien en l’état du principe de don anonyme tel que prévu par la loi belge. Tenant compte des possibilités offertes par les banques de données ADN commerciales, conjuguées à l’émergence du droit à connaître ses origines, « l’anonymat des donneurs de sperme est devenu une illusion », comme l’indique Maître De Jonge, avocat de Madame X.

Le mouvement de remise en question des dons anonymes prend en effet une ampleur inédite, tant sur le plan belge qu’au niveau international, comme en témoigne la plateforme « Donorkinderen » fondée par la Belge Stephanie Raeymakers, elle-même issue d’un don anonyme.

Si un appel de la décision est encore possible pour le donneur présumé, l’impact de la décision sur le plan législatif se pose quoi qu’il en soit déjà.

Dans son avis rendu le 5 décembre 2022, le Comité consultatif de bioéthique de Belgique rendait d’ailleurs une opinion ambivalente au sujet de l’anonymat des donneurs, en reconnaissant la légitimité de l’intérêt à connaître ses origines, sans pour autant préconiser une véritable garantie légale pour l’accès à l’identité des donneurs (voy. Actu IEB - PMA : Le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique envisage la levée de l’anonymat des donneurs).

 

Pour aller plus loin : Dossier IEB - Le droit de connaitre ses origines : un droit fondamental