Le 7 décembre dernier, la Commission européenne a adopté une proposition de règlement qui vise à la reconnaissance mutuelle de la “parentalité” dans tous les États membres. Le droit de la famille n’étant pas du ressort de l’Union européenne, c’est sur le respect du droit à la libre circulation des personnes que se base la Commission pour faire avancer cette proposition. Son adoption pourrait bouleverser le sens de la filiation et encourager le marché de la reproduction.
Pourquoi cette proposition ?
Le 16 septembre 2020, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne déclarait dans son discours sur l’état de l’Union : “Si vous êtes parent dans un pays, vous êtes parent dans tous les pays”. Elle est à l’initiative de ce projet de faire reconnaître la filiation établie dans un pays membre, dans tous les autres pays membres. Deux objectifs ressortent de l’exposé des motifs de la proposition :
· Un objectif juridique : la proposition vise à sécuriser juridiquement la reconnaissance de la filiation des enfants dans des situations transfrontalières. Cela permettrait également de réduire les frais liés aux démarches judicaires pour la reconnaissance de la filiation dans un autre État membre.
· Un objectif idéologique : la proposition s’inscrit dans la stratégie de l’Union européenne pour “l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ”. Une égalité de traitement qui conduirait à faire reconnaître tout type de lien parental, y compris dans le cadre d’une gestation pour autrui (GPA).
Le recours à un concept non juridique introduit la confusion sur la filiation
A travers le concept non juridique de “parentalité”, la Commission entend contourner la réalité de la filiation qui reconnait juridiquement les liens entre les parents et leurs enfants biologiques ou adoptés. La parentalité désigne quant à elle le rôle éducatif qui peut être rempli par des adultes dont la filiation est établie avec l’enfant ou pas. Ce projet concerne donc notamment les parents d’intention dans le cadre d’une GPA ou encore les couples mariés et de même sexe dans les pays où ces unions ne sont pas reconnues, et qui voudraient se faire reconnaître comme parents de l’enfant. Le critère retenu pour la filiation n’étant plus le lien biologique ou d’adoption mais la volonté des adultes d’être reconnus comme les parents d’un enfant, c’est bien le sens de la filiation qui est menacé par cette proposition.
Une menace pour la souveraineté des États membres
Le droit de l’Union impose déjà aux États membres de reconnaître la filiation d’un enfant telle qu’elle a été établie dans un autre État membre mais ce, relativement au droit à la libre circulation uniquement (circuler et séjourner librement dans les États membres). Pour la Commission, il faudrait garantir que les enfants en situation transfrontalière ne perdent pas leurs droits successoraux ou alimentaires ou encore leur droit à ce que leur parent d’intention soit reconnu comme responsable légal dans un pays qui ne reconnaîtrait pas les parents de même sexe.
Il ne sera ainsi plus nécessaire de recourir à une procédure spéciale pour faire reconnaitre les décisions de justice et les actes authentiques établissant la filiation dans un pays membre. Pour garantir cette harmonisation entre les États membres et l’absence de procédures pour faire reconnaître une filiation, la Commission propose aussi de créer un certificat européen de filiation.
On conçoit difficilement comment un pays qui interdit par exemple la GPA pour ses citoyens pourra maintenir cette interdiction lorsque le droit de l’Union européenne l’obligera à reconnaître dans les faits, l’acte de naissance d’un enfant conçu par GPA et tel qu’établi par un pays membre qui accepte cette pratique sur son sol.
Un risque accru de marchandisation des personnes
La reconnaissance de la filiation “quelle que soit la manière dont l’enfant a été conçu ou est né, et quel que soit le type de famille de l’enfant ” pourrait conduire à encourager des pratiques pourtant interdites dans la plupart des pays membres. Derrière cette reconnaissance faite au nom de l’intérêt supérieur des enfants en situation transfrontalière, c’est toute la société qui serait impactée par ce bouleversement de la filiation et par le marché de la reproduction qui, de la procréation artificielle sans père au recours aux mères porteuses dans la GPA, ne verrait alors plus de frein à son expansion.
Dans ce contexte, on peut se demander comment l’Union européenne pourra encore affirmer lutter contre l’exploitation des femmes issues de pays où la précarité pousse les femmes à la GPA et qui donneraient naissance à un enfant dans un État membre pour un couple commanditaire européen.
Il semble bien que sous le prétexte de la liberté de circulation, cette proposition de règlement sur la reconnaissance de la filiation entre États membres vise surtout à étendre les droits de certains adultes au risque d’encourager le marché déjà très lucratif de la procréation. Un marché qui, en plus d’instrumentaliser les femmes et les enfants, remet chaque jour davantage en question la réalité de la filiation et la sécurité juridique et sociale qui lui est attachée.