Sixième Rapport aux Chambres Législatives (Années 2012 et 2013)
Euthanasie : accroissement de 89% en 4 ans
03/09/2014 - Fin de vie La loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie prévoit que la Commission fédérale chargée du contrôle et de l'application de la loi, dresse tous les deux ans un rapport à l'intention du législateur. Voici donc la sixième mouture, qui couvre les années 2012-2013.Le rapport comporte tout d'abord un volet statistique, dont on retiendra ici que le nombre d'euthanasies déclarées a pratiquement doublé en 4 ans (une augmentation de 89%), passant de 953 euthanasies déclarées en 2010 à 1807 en 2013. La Commission estime que cette augmentation est due à la « diffusion progressive de l'information auprès du public et des médecins ». Ces morts provoquées représentent aujourd'hui 1,7% du total des décès en Belgique.
De plus en plus de personnes ont par ailleurs demandé à être euthanasiées alors que leur décès n'était pas prévu à brève échéance (13% des euthanasies). Ces chiffres devraient toutefois vraisemblablement être revus à la hausse pour inclure certains cas d'euthanasies pratiquées, sur base de déclarations anticipées de fin de vie, sur des personnes inconscientes de façon irréversible. En effet, le rapport range de façon arbitraire tous ces cas dans la catégorie des décès à brève échéance, alors que l'échéance est parfois indéterminée (« Lorsque l'euthanasie a été pratiquée chez un patient irréversiblement inconscient sur la base d'une déclaration anticipée, l'échéance du décès, si elle était indéterminée, a été classée brève. »).
Le rapport décrit ensuite l'application de la loi, dont ressortent les éléments suivants :
- A propos des personnes qui ont été euthanasiées alors qu'elles n'étaient pas en fin de vie, le rapport mentionne quelques cas de cancers débutants mais précise que les autres patients euthanasiés souffraient de maladies ou d'affections non-terminales. C'est le cas notamment des patients atteints d'affections neuro-psychiques (4%) ou de personnes souffrant de « pathologies multiples » propres au grand âge (5% des cas). A ce sujet, la Commission souligne que le nombre d'euthanasies pratiquées pour pathologies multiples est « nettement plus élevé » en 2012-2013 qu'en 2011 (on passe de 23 en 2011 à 109 en 2013). Le rapport souligne à ce propos qu'il y a eu une divergence de vue au sein de la Commission quant à la justification d'une euthanasie pour ces pathologies non terminales et « normales » liées à l'âge du patient.
2004 | 2005 | 2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
|
Affections neuro-psychiques | 6 |
3 |
5 | 4 | 13 | 21 | 25 | 33 | 53 | 67 |
"Pathologies multiples" | 9 |
11 |
6 |
10 |
12 |
18 |
16 |
23 |
57 |
109 |
- Dans 4% des cas (73 euthanasies), le rapport n'indique pas le diagnostic ayant justifié l'euthanasie. Si, dans la majorité des cas, la souffrance physique est présente, il y a toutefois 68 cas où le patient ne l'exprime pas (chiffres 2013).
- Le rapport relève encore, comme les années précédentes, l'étrange disparité entre le nombre élevé des déclarations d'euthanasie remplies en néerlandais (1454 en 2013, soit 80% des actes posés) en regard du plus petit nombre des déclarations remplies en français (353 en 2013, soit 20% du total), sans qu'aucune étude transversale n'ait encore été entreprise pour rendre compte de cette disproportion.
- En ce qui concerne les déclarations d'euthanasie, estimant devoir faire une remarque ou demander une précision au médecin déclarant, la Commission a ouvert le volet « confidentiel » du formulaire dans 14% des cas. Mais, tout comme pour les 12 années précédentes, la Commission n'a transmis aucun cas suspect à la justice, attestant ainsi que, selon elle, tout est entièrement sous contrôle, du moins pour les cas qui lui ont été rapportés par les déclarants. « Aucune déclaration ne comportant d'éléments faisant douter du respect des conditions essentielles de la loi, aucun dossier n'a été transmis à la justice ».
- A propos de la déclaration anticipée en fin de vie, plusieurs membres de la Commission en ont regretté la complexité (rédaction, enregistrement et renouvellement). Ils voudraient la rendre « plus effective ». Quant aux obstacles et difficultés apparus dans certaines maisons de repos et de soins lorsque se posait la demande d'euthanasie, il semble que « tout ait été réglé ». Le rapport ne donne pas plus de détails.
- La Commission d'évaluation a jugé qu'il était de son ressort et de ses compétences d'avaliser la pratique de suicide assisté arguant que la loi « n'impose pas la manière dont l'euthanasie doit être pratiquée », pourvu qu'elle soit sous contrôle médical. Elle s'inscrit ainsi clairement en faux par rapport aux travaux préparatoires de la loi dépénalisant l'euthanasie. Nos parlementaires, en effet, réservaient la dépénalisation à l'acte homicide posé par le médecin et non par le patient lui-même.
- Concernant la formation des médecins, la Commission estime que le curriculum des études médicales devrait couvrir la pratique des soins palliatifs mais aussi « la mise en oeuvre correcte d'une euthanasie ». « De même, les divers cycles d'enseignement postuniversitaire et les activités de recyclage (pour médecins généralistes) devraient être encouragés à inclure une telle formation ».
- Dans son annexe 4 (Brochure à l'intention du corps médical), le rapport a tenu à préciser la notion d'indépendance, à l'égard du patient et du médecin traitant, du consultant appelé à vérifier l‘application correcte des conditions légales pour l'euthanasie projetée. Il ne peut y avoir ni relation familiale, ni relation hiérarchique de subordination entre le consultant et le médecin traitant. Il n'est toutefois pas spécifié qu'ils ne peuvent pas appartenir à la même organisation ou association. Rien n'empêche donc deux médecins qui appartiennent à la même association – EOL (End of Life) ou LEIF (Life End Information Forum) par exemple, l'une et l'autre patronnées par l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité – de coopérer, comme médecin traitant et médecin consultant, à l'euthanasie d'un même patient.
- Réaffirmant que seul le patient peut juger du caractère insupportable et inapaisable de sa souffrance, mais aussi qu'il a le droit de refuser tout traitement qui allègerait cette souffrance, la Commission prend en exemple le cas de cet homme de 54 ans atteint d'une sclérose en plaque : la souffrance inapaisable trouve sa source dans le fait qu' « Il ne veut pas dépendre de tiers ». Notons aussi que le patient devant rester maître des traitements qu'il reçoit, il n'est pas question de lui imposer des soins palliatifs, alors même qu'ils auraient précisément pour effet d'apaiser la souffrance.
- Dans ses recommandations, la Commission propose que soit réalisé un effort d'information des patients et des médecins en matière d'euthanasie. Il s'agit, estime-t-elle, de clarifier et de faire connaître la déclaration anticipée par une brochure et d'en faciliter le renouvellement : elle pourrait, par exemple, être remplacée par un simple écrit du déclarant.
- Quant aux produits nécessaires à l'euthanasie, la Commission recommande d'en faciliter la disponibilité en officine publique. Mais fait silence sur le manque de contrôle actuel auprès des mêmes officines.
- Certains membres de la Commission estiment enfin que la notion d'inconscience irréversible est interprétée par les médecins de façon restreinte (coma). Ils plaident pour une interprétation moins restrictive, permettant ainsi une plus large pratique de l'euthanasie.
En conclusion, on remarquera que la Commission de contrôle et d'évaluation, mise en place par le législateur pour surveiller étroitement l'application d'une loi qui devait rester exceptionnelle, assume de plus en plus un rôle d'interprète de la loi, élargissant ses conditions d'application. Au point que l'on peut légitimement se demander si elle ne tend pas à devenir, au fil des ans, un simple organe d'entérinement, voire de promotion de l'euthanasie.
Voir aussi :
- Dossier de l'IEB : Euthanasie : 10 ans de dépénalisation en Belgique
- Livre : Rendez-vous avec la mort : 10 ans d'euthanasie légale en Belgique, Etienne Montero, Professeur ordinaire à l'UNamur, Doyen de la Faculté de droit, Anthemis 2013.
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