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La publication de l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis au sujet de l'avortement (Dobbs v. Jackson Women's Health Organization) est attendue dans les jours à venir, probablement d'ici la fin juin (correspondant au début des vacances judiciaires).
Précisons qu'à l'heure actuelle, les Etats-Unis admettent comme légal l'accès à l'avortement jusqu'à 23 semaines de grossesse (5 mois et demi). Un tel délai s'avère bien plus étendu que ceux en vigueur dans la plupart des Etats européens (14 semaines en France, 12 semaines en Belgique).
Dans ce contexte, la Cour Suprême des Etats-Unis serait sur le point de laisser chaque Etat américain légiférer sur le droit à l'avortement, d'après le brouillon d'une opinion majoritaire des juges dévoilé le 2 mai dernier par le média Politico.
Le juge Samuel Alito, auteur du document préparatoire, estime qu'il appartient aux représentants élus de chaque État fédéré de légiférer sur la question, et non au pouvoir judiciaire fédéral. Le document rappelle qu'il n'existe pas un droit à l'avortement dans la Constitution fédérale, et que la reconnaissance d'un tel droit ne s'appuyait sur aucune base constitutionnelle.
Pour rappel, l'affaire en question concerne une loi votée en automne dernier au Mississippi, qui raccourcit le délai légal d'avortement à 15 semaines, et dont la Cour Suprême doit examiner la constitutionnalité.
Vers un revirement de jurisprudence ?
L'enjeu de la décision de la Cour réside dans le fait qu'elle pourrait renverser sa propre jurisprudence à cette occasion. Depuis les arrêts Roe v. Wade (1973) et Planned Parenthood v. Casey (1992), la Cour suprême reconnaît un droit à l'avortement jusqu'à 23 semaines de grossesse, c'est-à-dire jusqu'à ce que le foetus soit viable. En effet, dans l'arrêt Roe v. Wade, le droit à l'avortement avait été reconnu comme découlant du droit à la vie privée inscrit dans le 14e amendement de la Constitution.
Cette jurisprudence entre aujourd'hui en tension avec certaines mesures plus restrictives que certains États américains ont récemment tenté d'adopter, notamment du point de vue du délai légal d'avortement.
La Cour suprême pourrait ainsi considérer que la reconnaissance d'un droit à l'avortement dans sa jurisprudence était une erreur, et, par conséquent, remettre le pouvoir de légiférer sur le droit à l'avortement entre les mains de chaque État.
Séparation des pouvoirs, subsidiarité et légitimité
Cette affaire vient mettre en lumière des interrogations liées à la répartition des compétences entre législateur et juge, et entre le pouvoir fédéral et le pouvoir fédéré. Ici, le juge aurait empiété le terrain du législateur en instituant un droit à l'avortement via la jurisprudence, alors que ce droit ne figure pas dans la Constitution des Etats-Unis. En outre, le 10e amendement de la Constitution prévoit que “Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux Etats-Unis par la Constitution, ni refusés par elle aux Etats, sont réservés aux Etats, ou au peuple”. En vertu de ce principe de subsidiarité, les Etats fédérés disposent d'une compétence de droit commun de légiférer, et l'Etat fédéral d'une compétence d'attribution. Le droit à l'avortement ne figurant pas dans les compétences déléguées au niveau fédéral, il relève donc de la compétence des Etats. En annulant l'arrêt Roe v. Wade, la Cour Suprême viendrait redéfinir les limites des différents niveaux du pouvoir législatif.
Un revirement de la décision de la Cour souligne par ailleurs la question du lien entre les principes de légalité et de légitimité. Ce qui est légal n'est pas forcément légitime – ou, autrement dit, moral. Ici, la remise en cause de ce « droit à l'avortement » questionne sur la légitimité d'un tel droit.