Shanti De Corte avait 23 ans lorsqu’elle a été euthanasiée le 7 mai 2022, après plusieurs demandes d’euthanasie et tentatives de suicide. C’est ce que révèle une enquête médiatique de la RTBF dans l’émission #Investigation : « Attentats de Bruxelles : les oubliés du 22 mars ».
Souffrant de dépression depuis l’adolescence, la jeune femme était à l’aéroport de Zaventem quand eut lieu l’attentat terroriste du 22 mars 2016, un événement dont elle est sortie traumatisée. Internée en hôpital psychiatrique, elle subit une tentative d’agression sexuelle d’un autre patient. Sa médication s’alourdit de telle sorte que Shanti dit se sentir « comme un fantôme qui ne ressent plus rien ». « Les médicaments m’ont ruiné plus qu’ils ne m’ont aidé. OK, parfois c’était nécessaire. Mais il y a avait d’autres solutions aussi. », confie-t-elle sur Facebook.
« L’euthanasie comme seule issue ? »
C’est la question que se posent les présentateurs de l’émission d’investigation. Quelles sont ces autres solutions dont parlait la patiente ? La psychothérapeute Nathalie Neyrolles s’interroge : que lui a-t-on proposé mis à part des antidépresseurs ? « Est-ce qu’on lui a proposé de l’accompagner, de l’aider à aller mieux ? » Suite aux attentats, des séjours thérapeutiques ont été mis en place à Ostende, destinés aux victimes des attentats. Alertée des demandes d’euthanasies de Shanti, cette thérapeute propose de rencontrer la jeune femme en avril 2022 : « J’ai été informée que Shanti souffrait de traumas complexes et que la seule solution qui lui était proposée à ce jour est l’acceptation de sa demande d’euthanasie. Sans remettre bien évidemment cette solution en question par a priori, mon expérience en victimologie suscite en moi quelques interrogations ». Une proposition à laquelle la psychiatre de Shanti De Corte répond par la négative, au nom de sa patiente.
Le Professeur Paul Deltenre, neurologue au CHU Brugmann, partage ce « sentiment que tout n’a pas été essayé » : une équipe française spécialisée sur le syndrôme du stress post traumatique était prête à intervenir. « Personnellement, il me semble que j’aurais dit : il n’y a rien à perdre », confie le Professeur.
Entrée en contact avec l’association LEIF (LevensEindeForum) qui regroupe des médecins défendant l’euthanasie et formés à sa pratique, Shanti voit sa demande d’euthanasie validée par deux psychiatres. La loi relative à l’euthanasie demande pourtant qu’avant d’accéder à la demande d’euthanasie, le médecin « doit arriver, avec le patient, à la conviction qu'il n'y a aucune autre solution raisonnable dans sa situation ».
Ce nouveau cas d’euthanasie pour souffrance psychique relance la question du bien-fondé de « l’option euthanasique » pour des patients dont un des symptômes majeurs est précisément de vouloir mettre fin à leurs jours. Une question qui divise les psychiatres en Belgique. L’euthanasie de la jeune femme intervient en parallèle d’un arrêt phare rendu le 4 septembre par la Cour européenne des Droits de l’Homme sur l’euthanasie en Belgique (Affaire Mortier – voir Actualité IEB), un autre cas d’euthanasie pour cause de dépression et pour lequel la Belgique vient d’être condamnée.
L’obligation de l’État de protéger le droit à la vie
« Depuis les attentats du 22 mars, trois autres victimes se sont également suicidées. Pour elles aussi, ni l’État ni les médecins ni les assurances ne pourront plus rien faire », concluent les journalistes. Le synopsis de l’émission pose justement la question de savoir si l'État belge a rempli toutes ses missions à l’égard des victimes des attentats. L’une d’entre elles est son obligation de protéger le droit à la vie de ses citoyens, selon l’article 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
L’euthanasie de Shanti Decorte met le doigt sur l’entremêlement inéluctable du suicide et de l’euthanasie dans le cas d’affections psychiatriques, et le dysfonctionnement dans la prévention au suicide qu’entraîne la pratique actuelle de l’euthanasie en Belgique.