Le 11 décembre dernier, la Cour constitutionnelle autrichienne a déclaré contraire au « droit à l'autodétermination » la disposition pénale qui fait de toute aide au suicide une infraction. Le législateur est ainsi sommé de légaliser et d'encadrer le suicide assisté dans l'année à venir.
La Cour part du principe que le « droit à l'autodétermination » comprend notamment le droit de « mourir dans la dignité » par le suicide, ainsi que le droit, pour ce faire, de demander l'aide d'un tiers volontaire. Ce raisonnement n'est pas sans faire penser à l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne, rendu il y a quelques mois (Bulletin de l'IEB).
On remarquera que contrairement aux pays du Bénélux ou au Canada, la plus haute instance juridique autrichienne prend aujourd'hui, à l'image de la Suisse et de l'Allemagne, la voie de l'autorisation du suicide assisté plutôt que celle de l'euthanasie. Mais à la différence du régime suisse, les arrêts allemands et autrichiens n'assortissent l'autorisation de l'assistance au suicide d'aucune condition médicale particulière. Sans doute ne fait-il pas bon évoquer le terme d' « euthanasie » dans ces pays profondément marqués par un passé où l'euthanasie des personnes handicapées fut présentée comme un progrès de société… L' « autodétermination » du suicidaire est alors le critère ultime avancé par la Cour.
Partant de la capacité du patient à refuser des traitements – et en cela à hâter le moment de sa mort – la Cour en déduit que de la même façon, chacun devrait être autorisé à hâter sa mort en demandant qu'on l'assiste dans son suicide.
La décision de se suicider, précise la Cour, doit être « fondée sur la libre autodétermination de la personne concernée » et être prise « librement et sans influence ». Se pose évidemment la question de savoir si une décision de suicide peut réellement être libre de toute influence… La Cour pressent la réaction, et reconnaît que « la libre autodétermination est également influencée par diverses circonstances sociales et économiques ». Mais, ne voulant pas s'engager dans cette impasse, elle charge le législateur de « prévoir des mesures visant à garantir que la personne concernée ne prend pas sa décision de se suicider sous l'influence de tiers ».
Comme nous l'avions écrit à propos de l'arrêt de la Cour constitutionnelle allemande, la libre disposition de soi et l'autonomie individuelle apparaissent comme les fondements de l'arrêt de la Cour. Une telle argumentation recèle pourtant une contradiction fondamentale dans les termes : comment le droit à l'autonomie individuelle peut-il en effet apparaître comme la justification du droit à obtenir l'aide – et donc à dépendre – d'autrui pour mourir ?
L'éthicienne viennoise Suzanne Kummer s'inquiète du « pas en arrière » que marque l'arrêt en question, à l'heure où les dépressions et les suicides sont en forte augmentation dans le présent contexte de pandémie. « Une personne en détresse existentielle a besoin d'un interlocuteur qui puisse lui indiquer des moyens pour sortir cette crise et dire oui à la vie, au lieu de la rejoindre dans ses pensées suicidaires », écrit-elle. Rappelant la différence éthique essentielle entre laisser mourir et tuer, l'éthicienne appelle urgemment à former tous les médecins du pays aux soins palliatifs. « "Aider à mourir", c'est ce dont chaque personne a besoin : être bien accompagnée, faire disparaître la peur et la douleur - mais pas la vie".