Fin de vie en France : entre euthanasie, suicide assisté et renforcement des soins palliatifs, le consensus peine à émerger

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 5 min.

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Alors que la Convention citoyenne sur la fin de vie vient de transmettre ses conclusions au Gouvernement, l’Institut Européen de Bioéthique fait le point sur le débat.  

 

L’ordre des médecins est « défavorable » à ce que les médecins participent à l’euthanasie

Dans un communiqué paru le 1er avril, l’Ordre des médecins rend les conclusions de son enquête sur la fin de vie élaborée dans le cadre de l’évaluation de la loi Claeys-Leonetti. Il entend rappeler le rôle du médecin pour prévenir une modification de la loi qui ouvrirait la porte à l’euthanasie et/ou au suicide assisté. Il se dit d’emblée opposé à une quelconque procédure qui permettrait de mettre fin à la vie des mineurs ou des personnes hors d’état de manifester leur volonté et précise aussi que le médecin ne peut « provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal ». S’il écarte la possibilité pour le médecin de pratiquer une euthanasie, en référence au Code de déontologie médical, il propose une clause de conscience spécifique pour le suicide assisté. Le médecin traitant serait le référent pour cette demande sans forcément y répondre lui-même s’il faisait valoir sa clause de conscience.

Cette distinction que fait l’Ordre des médecins entre le suicide assisté - qu’il estime tolérable dans le chef des médecins - et l’euthanasie qui reste une ligne rouge interroge. Un médecin qui accepterait d’accompagner un patient vers le suicide assisté et lui prescrirait le produit létal pour sa réalisation n’est-il pas co-responsable de « provoquer délibérément la mort » ?

 

Le Serment d’Hippocrate face au libre choix de demander la mort

Cette question sur le rôle du médecin en fin de vie divise beaucoup le corps médical. A l’heure où la Convention citoyenne sur la fin de vie vient de présenter ses conclusions au Gouvernement, il apparait que 23% des citoyens votants - soit un quart - sont contre la possibilité d’une « Aide Active à Mourir ». Parmi les raisons évoquées, ces citoyens constatent que la loi actuelle sur la fin de vie est mal connue et encore peu appliquée. Ils ont également pointé du doigt les dérives possibles d’une telle ouverture, notamment vis-à-vis des personnes vulnérables. Enfin, le refus plusieurs fois répété du corps médical de participer à des euthanasies leur font craindre une fragilisation supplémentaire du système de santé. En avril 2021, lors des discussions au Parlement sur la proposition de loi visant à créer un droit à l’euthanasie, 71 médecins avaient rappelé dans une tribune collective l’importance de respecter l’interdit de tuer, interdit fondateur de nos sociétés et protecteur du rôle de chaque médecin dans l’accompagnement des personnes les plus vulnérables. Ils rappelaient que la réponse à la peur de la mort, de la souffrance, de la solitude, ne pouvait être la mort, même choisie.

 

Conclusion de la Convention citoyenne : Face à la souffrance, une Aide Active à Mourir ?

La loi Claeys-Leonetti avait parmi ses objectifs d’apporter des solutions à la souffrance réfractaire en fin de vie, grâce notamment à la sédation profonde et continue. Cependant, faute de formation des équipes médicales et d’une bonne connaissance du public sur les modalités de cette sédation qui évite à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, celle-ci reste encore peu ou mal appliquée. La Convention citoyenne propose d'y ajouter l’Aide Active à Mourir.

La coexistence de l’euthanasie ou du suicide assisté avec un soin de fin de vie conçu pour apaiser la souffrance sans abréger la vie paraît cependant difficile à tenir.

 

Une « Aide Active à Mourir » qui reste difficile à définir

Si les citoyens de la Convention sur la fin de vie se sont prononcés à 75.6% en faveur d’une Aide Active à Mourir, il apparait que le consensus est moins évident à trouver lorsqu’il s’agit de définir et de délimiter les modalités et les conditions d’accès à cette mort sur demande. Ainsi, pour une partie des citoyens (28%), le suicide assisté doit être privilégié tandis que l’euthanasie doit rester une exception, alors que pour 40% des citoyens interrogés, l’euthanasie et le suicide assisté doivent être proposés au choix. Parmi les votants, certains citoyens préconisent un accès avec conditions (71%) alors qu’une minorité propose d’ouvrir l’Aide Active à Mourir sans autre condition que la volonté du patient. Par ailleurs, si tous s’accordent sur la nécessité de tenir compte du discernement de la personne, le débat reste ouvert sur la question de savoir comment respecter ce principe lorsque les personnes ne sont plus capables d’exprimer leur volonté ou sont inconscientes. Aux Pays-Bas, les personnes atteintes de démence peuvent être euthanasiées sur simple déclaration anticipée lorsqu’elles ne sont plus conscientes et donc plus en état de formuler à nouveau la demande. La volonté libre et éclairée du patient qui demande l’euthanasie sera difficile à respecter dans ce contexte. D’autres questions restent ouvertes concernant la nécessité ou non d’avoir un pronostic vital engagé pour demander l’Aide Active à Mourir ou encore sur le fait de savoir si les souffrances psychiques, psychiatriques, voire existentielles, doivent être prises en compte. En Belgique, le critère de la souffrance psychique reste problématique car son caractère subjectif ouvre la porte à des interprétations diverses pour déterminer son caractère insupportable et incurable.

 

Renforcer l’accompagnement de la fin de vie : unique consensus mais inconciliable avec l’euthanasie

97% des citoyens se disent favorables à une amélioration de l’accompagnement en fin de vie. Parmi les 65 propositions formulées en ce sens, la nécessité de respecter la volonté et le libre choix du patient quelle que soit la situation a été soulignée. Il a été proposé entre autres de développer l’accompagnement à domicile, d'augmenter les budgets pour la prise en charge de la fin de vie mais aussi de renforcer les soins palliatifs. L’accent a été mis également sur la nécessité de développer la recherche et les traitements pour mieux prendre en charge la souffrance.

Ces mesures reflètent le travail qui a été fait pour dresser un état des lieux de la prise en charge de la fin de vie en France et la nécessité de l’améliorer. Cependant, il paraît difficile de concilier ces mesures nécessaires mais coûteuses avec la proposition de dépénaliser l’euthanasie et/ou le suicide assisté. Dans les pays où ces pratiquent existent, elles sont déjà des arguments pour pallier la tension budgétaire auxquels sont soumis les systèmes de santé.  

 

Face à l’hyper médicalisation de la mort, la prudence et la fraternité  

Les exemples des pays où sont légalisés l’euthanasie ou le suicide assisté mais aussi le témoignage de soignants et d’experts qui ont réaffirmé leur refus de provoquer la mort ont amené certains citoyens de la Convention à « privilégier une posture d’humilité et de prudence ». Certains ont souligné « la nécessité de ne pas penser la vie de manière individualiste » conscients de l’impact qu’aurait une telle législation sur l’ensemble de la société. Position prudente qui préfère privilégier la fraternité et l’humanité à « des positions extrêmes » comme le ferait une loi qui chercherait à régler tous les problèmes au cas par cas. Finalement, la complexité des situations de fin de vie invite à privilégier le « traitement de la douleur » et une « écoute attentive des besoins des patients », loin de l’illusion que pourrait donner une loi qui ferait croire que l’on peut « donner à l’être humain la maîtrise de ce qui, par définition, lui échappe, (…) ».