Dans un vote définitif intervenu le 18 mars dernier, le Parlement espagnol a adopté la « loi organique sur la réglementation de l'euthanasie ».
Cette loi introduit une exception à l'interdiction de mettre fin à la vie d'autrui, dans le cas où le patient ayant effectué la demande d'euthanasie est atteint d'une « maladie grave et incurable » ou d'une « affection grave, chronique et invalidante », provoquant dans chaque cas « une souffrance physique ou psychique constante et intolérable pour la personne qui en souffre ».
Dans chaque cas, le critère lié à la souffrance est envisagé de manière subjective : ce que dit le patient de sa souffrance fait loi, et implique que le corps médical fasse droit à sa demande qu'il soit mis fin à sa vie.
Quant à la deuxième hypothèse, liée à l'absence de maladie incurable mais à une affection chronique, l'accent est mis sur ce qui est considéré comme une perte d'autonomie – physique ou relationnelle – de la personne. L'existence de cette deuxième hypothèse implique également que l'accès à l'euthanasie n'est pas réservé aux personnes en fin de vie, mais devient notamment possible pour les personnes handicapées.
L'entrée en vigueur de la loi est prévue trois mois après sa publication au Journal officiel, soit dans le courant du mois de juin 2021.
Les députés opposés à l'euthanasie ont toutefois annoncé déposer un recours en annulation de la loi devant le Tribunal constitutionnel espagnol. Le dépôt d'un tel recours d'inconstitutionnalité n'interrompt pas l'entrée en vigueur ni l'application de la loi.
Telle que votée, la loi espagnole soulève en effet au moins trois questions fondamentales quant à sa compatibilité avec la constitution espagnole.
Euthanasie et droit à la vie
La première difficulté tient à la compatibilité de l'euthanasie en tant que telle avec l'article 15 de la constitution, aux termes duquel « Toute personne a droit à la vie et à l'intégrité physique et morale ». Le fait de mettre volontairement fin à la vie d'autrui, même à sa demande, apparaît en effet en contradiction avec un tel droit fondamental. Il s'agira, pour le Tribunal constitutionnel, d'apprécier dans quelle mesure le « droit à l'intimité personnelle et familiale », inscrit à l'article 18 de la constitution, comprend le droit de demander l'euthanasie et l'emporte sur le droit à la vie.
Registre étatique des médecins objecteurs de conscience
Une deuxième difficulté a trait à l'article 16 de la loi, prévoyant la mise sur pied d'un registre étatique des médecins objecteurs de conscience à l'euthanasie. L'objectif affiché d'un tel dispositif consiste à assurer l'accès effectif de tout patient à l'euthanasie. Ce registre pose toutefois de graves questions quant au respect du droit fondamental à la liberté de conscience, de pensée et de religion, cette liberté comprenant le droit de ne pas révéler ses convictions, de même que le droit de changer de convictions. Une telle disposition fait par ailleurs l'impasse sur les liens étroits pouvant unir la conscience personnelle du médecin et sa conscience médicale : un médecin non nécessairement opposé à l'euthanasie peut en effet considérer que les conditions de la loi ne sont pas remplies pour faire droit à la demande d'euthanasie du patient, ou que l'euthanasie pose un problème déontologique. Ce dernier devra-t-il être considéré comme un médecin objecteur ? Cette hypothèse n'est pas envisagée par la loi actuelle.
Insécurité juridique
Enfin, le caractère indéterminé des conditions de fond requises pour l'accès à l'euthanasie pose également question du point de vue du respect de la Constitution espagnole, et, plus spécifiquement, du principe de sécurité juridique (article 9.3). Parmi ces critères indéterminés, citons notamment la notion de « souffrance physique ou psychique constante et intolérable », de même que celle d' « affection grave, chronique et invalidante ». L'indétermination de ces notions est ici d'autant plus dommageable qu'elle a pour enjeu la vie de la personne elle-même.
Rappelons à cet égard que le Tribunal constitutionnel du Portugal a récemment annulé la nouvelle loi portugaise sur l'euthanasie, largement similaire à la loi espagnole (voy. News IEB du 18/3/21). Le constat d'inconstitutionnalité du Tribunal portugais se fonde précisément sur l'absence de sécurité juridique du critère de « lésion définitive et d'extrême gravité selon le consensus scientifique ».