« C'est un acte de soin comme un autre et, à ce titre, il mérite un traitement identique ». Tels furent les mots de la députée française Albane Gaillot à propos de l'avortement, juste avant l'adoption par la Commission des affaires sociales d'une proposition de loi « visant à renforcer le droit à l'avortement », le jeudi 8 octobre 2020. C'est à ce titre que le texte prévoit de supprimer la clause de conscience spécifique dont bénéficient les soignants qui ne souhaitent pas participer à un avortement. La proposition émane d'un groupe parlementaire de l'opposition – Ecologie, démocratie, solidarité (EDS) -, composé d'anciens députés LREM. Elle doit à présent être discutée au Sénat.
Pour justifier la suppression de la clause de conscience relative à l'avortement, les auteurs de la proposition s'appuient sur l'existence d'une clause de conscience « générale » prévue à l'article R. 4127-47 du code de la santé publique, qui permet au médecin de refuser des soins à un patient pour des raisons professionnelles ou personnelles. Cependant, cette clause générale est de portée plus restreinte que la clause spécifique. Comme l'a rappelé le député LR Thibault Bazin lors de cette même séance, la clause générale applicable à tous les soins de santé « limite le pouvoir d'appréciation du médecin dans au moins deux circonstances citées dans le texte : ‘le cas d'urgence' et ‘celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité' » De plus, comme l'ont souligné de nombreux députés, la clause générale ne bénéficie pas aux autres personnels soignants que les médecins, comme par exemple les infirmiers, et elle n'a qu'une valeur réglementaire, contrairement à la clause spécifique coulée dans la loi.
La clause de conscience spécifique est non seulement supprimée, mais également remplacée par une obligation pour le médecin ou la sage-femme qui refuse de pratiquer un avortement, de communiquer "immédiatement" à la femme "le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention". Ceci au risque d'obliger le médecin à collaborer indirectement à un acte qu'il réprouve.
Le texte contient deux autres dispositions visant à faciliter l'avortement. Il s'agit tout d'abord de l'allongement du délai légal pour le pratiquer sans raison médicale, de 12 à 14 semaines de grossesse. Dans un communiqué de presse de ce lundi, l'Académie de médecine s'est opposée à cet allongement, craignant à ce stade de la grossesse un recours à « des manoeuvres chirurgicales qui peuvent être dangereuses pour les femmes et à une dilatation du col plus importante susceptible de provoquer des complications à long terme comme un accouchement prématuré. » Rappelons en effet qu'au-delà de 12 semaines de grossesse, le médecin est obligé de déclencher l'accouchement ou d'extraire le foetus par morceaux.
Enfin, la proposition de loi prévoit d'autoriser les sages-femmes à pratiquer des avortements chirurgicaux – c'est-à-dire par aspiration à l'aide d'une canule introduite dans l'utérus - jusqu'à la 10e semaine de grossesse. Là encore, l'Académie de médecine a fortement déconseillé ce « transfert de compétences », « quel qu'en soit le terme et compte tenu de leur absence actuelle de qualification chirurgicale ».
En marge du projet de loi bioéthique qui secoue actuellement la France, cette proposition de loi est une fois de plus le reflet d'une question de plus en plus pressante pour les promoteurs de l'avortement, à savoir celle de la pénurie de médecins prêts à pratiquer des avortements dans un contexte où le nombre d'avortements n'a jamais été aussi élevé depuis 30 ans (232 200 pour l'année 2019). Le recours croissant à la pilule abortive (près de 70% des cas en France en 2018), que les sages-femmes peuvent aussi délivrer, en est aussi le signe. Malgré les tentatives répétées de faire accepter l'avortement comme un acte médical normal, la réalité du geste s'impose toujours avec son lot de souffrances et de drame.