Donner ses organes à la suite d’une euthanasie : l’altruisme pour masquer l’utilitarisme ?

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 3 min.

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La 10ème édition du colloque « Sympadot », organisé le 21 novembre dernier par le Service de Transplantation de l'Hôpital Universitaire de Bruxelles (Erasme), portait sur le don d’organes et la transplantation. Parmi les thématiques abordées durant cette journée, figurait cette question volontairement interpellante : « Euthanasie, une piste pour le futur ? ». Selon les intervenants, l’objectif consiste à promouvoir un « projet de fin de vie » qui inclurait le don d’organes. S’agirait-il d’encourager un geste altruiste pour faire oublier l’échec médical et social que représente une euthanasie ?  

Les principes éthiques du don d’organes mis en péril dans le contexte de pénurie 

La pénurie d’organes disponibles pour la transplantation est une réalité mondiale. Rien qu’en Europe, on estime à 150 000 le nombre de patients en attente de greffe en 2022, et 19 personnes y sont mortes chaque jour de cette même année faute de greffe. Dans ce contexte de pénurie, l’euthanasie se profile de plus en plus comme une « piste » qui permettrait de pallier ce manque. Dans ce contexte de pénurie, l’euthanasie se profile de plus en plus comme une « piste » qui permettrait de pallier ce manque. Les témoignages entendus lors du Sympadot d’Erasme ont mis l’accent sur l’idée de mort utile à travers l’euthanasie assortie d’un don d’organes qui pourrait ainsi « permettre à plusieurs personnes de rester en vie », ou encore de « faire son deuil ». Dès le moment où la frontière entre « provoquer la mort » et « donner une chance de vie » devient floue, l’altruisme du don d’organes pourrait justifier l’euthanasie, qui ne serait alors plus vécue comme un échec.   

Présent lors du Sympadot, le Dr Marc Decroly, médecin généraliste, a rappelé que le don d’organes ne pouvait en aucun cas servir de prétexte à l’euthanasie et que l’euthanasie n’était pas un droit mais une opportunité. Au vu de la hausse constante des euthanasies en Belgique (plus de 3000 en 2023), comment éviter cette dérive utilitariste en pratique, dès lors que l’euthanasie et le don d’organes font partie d’un même projet de fin de vie ? La perspective du don d’organes ne va-t-elle pas conduire des personnes qui considèrent leur vie comme inutile à choisir l’euthanasie ?  

 

Comment garantir l’indépendance entre la décision d’euthanasie et le don d’organes ?  

Dans un avis du 9 janvier 2023, le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique a réfléchi aux implications éthiques de l’association entre don d’organes et euthanasie (Voy : Don d’organes après euthanasie : le Comité consultatif de bioéthique de Belgique se raccroche à une éthique procédurale). Il a rappelé les trois conditions d’acceptabilité éthique pour le prélèvement d’organes après une euthanasie : 

  • Euthanasie et don d’organes doivent rester l’objet de deux décisions distinctes et d’intervenants distincts ; 

  • Il est absolument interdit de conditionner l’euthanasie au prélèvement d’organes, et la possibilité de changer d’avis doit être garantie à tout moment ; 

  • Le consentement éclairé du patient aux examens médicaux que requiert le prélèvement d’organes doit être garanti. 

Le Comité reste divisé sur le rôle du médecin dans l’évocation de la possibilité du don d’organes auprès d’une personne ayant demandé l’euthanasie. Si certains membres prônent l’altruisme du don qui permet en outre de donner « du sens à leur choix de fin de vie », d’autres membres soulèvent le risque d’influencer la demande d’euthanasie, notamment chez les patients souffrant d’affections psychiatriques, dont la demande est souvent ambivalente, mais qui sont dans le même temps souvent éligibles au don d’organes. 

En dépit de ces garde-fous éthiques, le Dr. David Fargnoul a pu préciser lors du colloque qu’au CHU de Charleroi, le médecin propose lui-même le don d’organes au patient au cours de la dernière consultation avant l’euthanasie. Dans ces conditions, comment garantir que l’euthanasie n’est pas influencée par le don d’organes ? Le patient pourrait en outre ne pas oser revenir sur sa décision d’être euthanasié si la possibilité du don d’organes a été décidée en concertation avec son médecin.  

En Belgique, entre 2005 et 2019, il y a eu 53 prélèvements d’organes à la suite d’une euthanasie selon le SPF Santé publique. Ce chiffre pourrait évoluer si le don d’organes était intégré au projet de fin de vie, avec le risque majeur de confondre l’utilitarisme de la mort sur demande avec l’altruisme du don d’organes.