Une étude scientifique récente montre que le foetus pourrait ressentir la douleur dès le quatrième mois de la grossesse. Mis en avant dans l'article de deux scientifiques publié par le Journal of Medical Ethics, ces résultats viennent ainsi bouleverser l'idée couramment reçue selon laquelle un foetus ne pourrait sentir la douleur qu'à partir de la 24 semaine de gestation, et par conséquent ne souffrirait pas de l'avortement jusqu'à ce stade.
L'un des auteurs est le Professeur Stuart Derbyshire, de l'Université Nationale de Singapour. Spécialisé en médecine psychosomatique, il a notamment travaillé comme consultant pour le Pro-choice forum au Royaume-Uni et le Planned Parenthood (planning familial), deux organisations en faveur de l'avortement. Or, en 2006, ce scientifique écrivait dans le British Medical Journal qu'éviter de parler de la souffrance foetale aux femmes souhaitant recourir à l'avortement « était une politique sensée, basée sur de solides preuves que les foetus ne peuvent pas ressentir la douleur ». Aujourd'hui, avec le médecin américain John Bockmann, il revient sur sa position en soutenant que ne pas tenir compte des derniers résultats indiquant la possibilité d'une souffrance foetale plus précoce, relève de "l'imprudence morale".
Chaque année dans le monde, à peu près 5,6 millions d'avortements (10%) sont pratiqués après 13 semaines (3 mois) de grossesse. Les méthodes utilisées à ce stade impliquent soit le démembrement du foetus et son évacuation par morceaux, soit la provocation de l'accouchement avec ou sans injection létale au préalable. Au deuxième trimestre, le foetus avorté n'est généralement pas anesthésié ni endormi, alors que pour des opérations chirurgicales (thérapeutiques) sur un foetus du même âge, les médecins prennent systématiquement cette précaution.
Jusqu'à présent, la plupart des études affirmait que la perception de la douleur dépendait du cortex cérébral et des liaisons entre le cortex et le thalamus, qui ne deviennent fonctionnelles qu'après 24 semaines de gestation. De nouveaux résultats ont démontré que l'épreuve de la douleur n'était pas nécessairement liée au fonctionnement du cortex : "Même si on considère le cortex nécessaire à l'expérience de la douleur, il y a maintenant assez de preuve que les projections thalamiques (ndlr: informations sensitives) dans la sous-plaque, qui surviennent autour des 12 semaines de gestation, sont fonctionnelles et équivalents aux projections thalamocorticales qui apparaissent autour des 24 semaines de gestation". Il est donc scientifiquement probable que le foetus perçoive la douleur dès sa 13ème semaine de gestation.
Les auteurs sont d'avis que même si le foetus ne vit pas d'expérience consciente de la douleur, il pourrait la percevoir de façon « immédiate » ou « pure ». Tous deux sont conscients de l'importance de ces résultats du point de vue éthique par rapport aux techniques d'avortement, et préconisent à tout le moins qu'en cas d'avortement après 12 semaines de grossesse, l'équipe médicale et la femme enceinte soient encouragées à considérer l'anesthésie du foetus.
Malgré la divergence d'opinion des deux scientifiques sur la pratique de l'avortement, ceux-ci ont osé se prononcer ensemble sur un sujet que l'on sait sensible. La capacité de réactivité du foetus dès le 4ème mois de grossesse n'est pas sans faire penser à l'attachement mère-enfant et aux mémoires précoces in utero, de plus en plus étudiées par les psychiatres et psychologues, comme Anne Schaub-Thomas dans son livre « Un cri secret d'enfant ».
Article publié en 2020, mis à jour en mars 2023
Pour aller plus loin sur la question de la sensibilité du foetus:
Derbyshire SWG et Bockmann JC, Reconsidérer la douleur fœtale, J Med Ethics 46, 3-6, (2020).
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