Shanti, décédée par euthanasie mais considérée comme victime d’un "assassinat terroriste"

Auteur / Source : Publié le : Thématique : Fin de vie / Euthanasie et suicide assisté Actualités Temps de lecture : 3 min.

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Le 25 juillet dernier, la Cour d’assises de Bruxelles rendait son verdict dans le procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles.

Parmi les nombreuses questions adressées au jury d’assises, figurait celle du nombre exact de personnes considérées comme victimes du crime d’« assassinat terroriste ».

Si le bilan officiel s’est longtemps élevé à 32 morts, les avocats de plusieurs parties civiles ont plaidé pour que soient ajoutés à cette liste les noms de quatre personnes supplémentaires ayant initialement survécu aux attentats, mais décédées par la suite.

Trois d’entre elles ont finalement été reconnues par le jury comme victimes d’un assassinat terroriste a posteriori, du fait de leur décès par suicide, cancer ou …euthanasie.

Shanti de Corte, jeune femme décédée à 23 ans par euthanasie pour trouble psychique, était en effet présente à l’aéroport au moment de l’attentat. Souffrant déjà d’une dépression, elle n’a pas supporté cette nouvelle épreuve, au point, quelques années plus tard, de demander à être euthanasiée. Sa mort par euthanasie en mai 2022 avait relancé le débat à propos des euthanasies pratiquées sur des patients atteints de dépression, en particulier sur le respect des conditions légales relatives au caractère inapaisable des souffrances et à l’incurabilité de la maladie.

 

Mort par euthanasie et par assassinat ?

Ce qui interroge ici, outre le respect de ces conditions de fond, est la qualification juridique de la cause du décès. D’un côté, le verdict du jury d’assises reconnaît Shanti de Corte comme victime d’un « assassinat » ; de l’autre, celle-ci a elle-même demandé et consenti à mourir par euthanasie. La loi belge sur l’euthanasie requiert d’ailleurs que la demande soit formulée « de manière volontaire, réfléchie et répétée, et qu'elle ne résulte pas d'une pression extérieure », et « qu'il n'y a aucune autre solution raisonnable ».

Comment comprendre ce paradoxe tenant à l’existence simultanée de deux causes contradictoires à ce décès – d’une part, le crime commis par des tiers, d’autre part, la volonté de mourir formulée par la personne elle-même ?

Précisons que parmi les deux autres personnes reconnues comme victimes a posteriori d’assassinat terroriste, l’une s’est suicidée, tandis que l’autre est décédée d’un cancer qui n’a pas pu être correctement soigné en raison des blessures liées à l’attentat.

 

L’euthanasie : un suicide encadré ?

S’agit-il alors d’assimiler l’euthanasie pour trouble psychique à une forme de suicide – en l’occurrence, un suicide encadré par l’État et effectué par un médecin ?

Dans son dernier rapport publié en 2022, la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie considérait en tout cas que « chez les jeunes patients » psychiatriques, l’euthanasie constitue « une autre façon, plus digne, de mettre fin à ses jours » (p. 43).

Si on peut s’étonner de cette présentation de l’euthanasie comme une forme « plus digne » de suicide, force est en tout cas de constater que la Commission envisage de manière analogue l’euthanasie et le suicide.

Début juillet 2023, une autre jeune Belge – Elien Vervaet, âgée de 24 ans – est décédée par euthanasie, ici aussi pour motif de dépression.

Rappelons aussi que la loi belge prévoit, paradoxalement, que « la personne décédée à la suite d'une euthanasie […] est réputée décédée de mort naturelle pour ce qui concerne l'exécution des contrats auxquels elle était partie, en particulier les contrats d'assurance ».

Plus fondamentalement, la mort par euthanasie d’une victime des attentats nous questionne quant à l’effectivité des pistes d’accompagnement offertes par la société à ces personnes en souffrance psychique, et sur la pertinence d’inclure la mort en tant que solution parmi d’autres à cette souffrance.

 

Photo de Ümit Bulut sur Unsplash